Soyons clairs : tout au long de cette critique j'utiliserai la traduction littérale du titre orignal, Брестская крепость, "La Forteresse de Brest", plutôt que le grotesque Battle for Honor, la bataille de Brest-Litovsk choisi par le distributeur français, non seulement parce l'inclusion est en soi ridicule pour un film qui ne concerne à aucun moment le monde anglo-saxon, mais aussi parce qu'il ne lui rend pas service, en lui donnant l'apparence d'une énième production fauchée, tenant presque davantage d'une version live de Call of Duty que d'un véritable film consacré à un sujet original et méconnu.


Or, j'ai le plaisir de dire que La Forteresse de Brest (propre, simple et efficace non ?) appartient fermement à la seconde catégorie et non à la première. Je tenais à parler de ce film directement après le cataclysmique Stalingrad de Fiodor Bondartchouk, pourtant sorti trois ans après, car à bien des égards, il s'agit de sa version réussie.


Le mot peut sembler cruel mais permettez-moi d'étayer mes arguments. Le point de départ est peu ou prou le même : de braves soldats soviétiques se retrouvant prisonniers dans un lutte à mort dans les ruines d'une ville encerclée par l'envahisseur nazi. Posez la question à des Russes de tout âge et vous verrez qu'il s'agit de l'image d'Épinal de ce qu'ils nomment la Grande Guerre Patriotique, un peu comme les tranchées de la Guerre de 14-18 pour nous autres Français.


Il convient d'ailleurs d'observer que dans le cas de nos Poilus, tout comme des GIs américains et Tommys britanniques de 39-45, la guerre est quasi-invariablement représentée au cinéma comme une sorte de presqu'île, uniquement rattachée à l'arrière par le courrier. La vision soviétique puis russe est souvent radicalement différente : la distinction entre civils et militaires s'estompe souvent car tous se retrouvent sur la ligne de front, à subir le déluge d'acier et de feu de la Wehrmacht ; le thème de l'innocence perdue des femmes et des enfants et de leur survie au beau milieu de toute cette horreur est ainsi récurrent, depuis L'Enfance d'Ivan de Tarkovski jusqu'au Requiem pour un Massacre de Klimov.


La Forteresse de Brest s'inscrit totalement dans cette lignée, ce qui apparaît dès l'ouverture : la voix-off d'un vieillard se présente comme étant Sachka Akimov, âgé de 15 ans en ce samedi 21 juin 1941 radieux qui précéda quatre années de tourmente. Comme au mois d'août 1914 dans la France paysanne, la vie est belle à Brest-Litovsk, ville-frontière de la République socialiste soviétique de Biélorussie. Joueur de tuba dans la fanfare locale, Sachka en pince pour la jolie Anya, fille du capitaine Kijevatov, de l'Armée Rouge. On parade, on drague, on se baigne, et seul le commissaire politique Fomine et le vieux major Gavrilov sentent venir le danger au-travers des incessantes patrouilles d'avions allemands dans le secteur. Mais l'Allemagne hitlérienne est toujours officiellement partenaire commercial de l'URSS, alors que craint-on ?


Patatra, dès le lendemain aux aurores, des soldats nazis vêtus d'uniformes soviétiques infiltrent Brest, prélude à un bombardement en règle par les Stukas puis à un assaut par les troupes motorisées de la Wehrmacht. Pourtant, malgré l'effet de surprise, la violence de l'attaque et l'absence de vivres et de tout renfort, la citadelle de Brest-Litovsk va résister une semaine entière face à un ennemi largement supérieur en nombres.


Avec une prémisse historique comme celle-ci, difficile de s'attendre à autre chose qu'un récit héroïque à la gloire des défenseurs de la fameuse forteresse. Pourtant, là où il n'aurait pu être qu'un vulgaire outil de propagande, le film arrive à éviter plusieurs pièges habituels du genre. Tout d'abord, malgré ses renforts de batailles spectaculaires (j'y reviendrai) et de discours un rien grandiloquents, il arrive à rester humain. Ce n'est pas tant dû à la finesse de l'écriture – qui, disons-le, accumule pas mal de clichés – qu'à la totale implication des acteurs.


Là où dans Stalingrad trois ans plus tard, Thomas Kretschmann surnageait rien qu'avec son regard de cocker au milieu d'amateurs russes tous moins crédibles les uns que les autres, le casting de la Forteresse de Brest tire le meilleur parti de ce qui lui est donné : Aliocha Kopachov et Veronika Nikonova sont adorables et terriblement attachants en Sacha et Anya respectivement, tandis que le toujours solide Pavel Derevianko apporte ce qu'il faut de chaleur et d'humanité au pourtant très strict commissaire Fomine. J'aimerais en dire autant d'Andreï Merzlikine en capitaine Kijevatov, sorte de Nicolas Cage russe, mais je n'ai jamais pu sentir cet acteur. Le vrai point fort de la distribution cependant, c'est incontestablement Alexandre Korchounov, essentiellement un acteur de théâtre, qui se commet à fond dans le rôle de Piotr Gavrilov, vétéran irascible et implacable. Son énergie et la force qui émane de son visage de vieux lion sont hypnotiques. Tous les acteurs secondaires sont extrêmement crédibles en soldats assiégés, affamés mais irréductibles.


Leur talent aurait toutefois pu être aisément gâché sans la direction d'Alexandre Kott, qui mérite qu'on s'étende à son sujet. Véritable touche-à-tout, Kott est également l'auteur du Souffle, ovni cinématographique sur fond de triangle amoureux kazakh, d'Insight, romance métaphysique entre un aveugle et une jeune femme ayant des visions, ainsi que la mini-série de Netflix consacrée à Trotski. Son style peut parfois laisser un peu perplexe mais je me dois de reconnaitre en lui l'un des metteurs-en-scènes les plus intéressants du paysage cinématographique russe actuel.


Or, là où Fiodor Bondartchouk se contentait d'un pitoyable copier/coller de Michael Bay, Kott fait preuve d'une grande sensibilité dans sa mise en scène. Dans la grande tradition des réalisateurs soviétiques et notamment d'Eisenstein, il arrive à alterner entre proximité extrême avec les personnages, vue d'ensemble de la bataille et moments de contemplation, bien servi par une photographie absolument somptueuse. La cinématographie est rarement à blâmer dans les films en costume russes, mais je vous promets que celle-ci est particulièrement sublime – j'ai des frissons rien qu'en pensant à ces vues du champ de bataille jonché de cadavres ou à cette plongée sur les Allemands franchissant la rivière dans la brume. Mолодец, Vladimir Bashta !


Pourtant, Kott ne montre pas que la guerre via cet enfant qui essaie de réveiller son père mort, via la défiance du commissaire juif communiste Fomine, qui revendique fièrement ces trois attributs face aux Nazis, ou via l'amour inconditionnel entre Sacha et Anya ; ses séquences d'action n'ont honnêtement rien à envier aux plus grosses productions hollywoodiennes ! Là encore, il est intéressant de noter que La Forteresse de Brest se déroule pourtant essentiellement autour de la place centrale, exactement comme Stalingrad, mais Kott arrive à y conférer une dimension aussi épique qu'immersive, grâce à une caméra très soignée et à de nombreux figurants, tanks et avions à l'appui. Les amateurs de films d'action y trouveront également leur compte.


J'ai plusieurs fois vu critiqué le portrait des soldats allemands dans ce film ; il est vrai qu'ils ne sont guère plus que des brutes meurtrières, mais leur caricature n'est pas pire que dans la vaste majorité des films occidentaux. Et puis, il faut se rappeler que les Nazis venaient éradiquer les peuples slaves dans leur intégralité, et que les massacres de blessés et de prisonniers ont bel et bien eu lieu à Brest entre le 22 et le 29 juin 1941. D'ailleurs, je félicite le film de Kott pour montrer que la Wehrmacht, soi-disant "propre", a également commis ces atrocités, et pas seulement la SS comme on le croit souvent.


Au final, La Forteresse de Brest fait preuve de davantage d'originalité dans son sujet que dans son traitement, mais le film a bien plus à offrir que le seul récit méconnu de la résistance héroïque de Brest-Litovsk, grâce à la réalisation inspirée d'Alexandre Kott et au jeu des acteurs, lesquels mis ensemble arrivent à donner du cœur et du souffle tant aux scènes intimes qu'aux grandes séquences d'action – la marque de fabrique d'un film de guerre touchant et efficace, que je recommanderais à tout-un-chacun.

Szalinowski
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Les meilleurs films sur la Grande Guerre Patriotique (Front de l'Est 1941-1945)

Créée

le 16 avr. 2019

Critique lue 521 fois

3 j'aime

1 commentaire

Szalinowski

Écrit par

Critique lue 521 fois

3
1

D'autres avis sur Battle for Honor, la bataille de Brest-Litovsk

Du même critique

L'Empire contre-attaque
Szalinowski
10

Le film le plus humain de la saga

Empire strikes back contient ma scène préférée de toute la saga Star Wars. Non ce n'est pas l'apparition des quadripodes sur Hoth. Ce n'est pas non plus la grotte de Dagobah, ou Yoda qui soulève le...

le 26 mai 2015

15 j'aime

2

Babylon Berlin
Szalinowski
8

Guten Morgen Berlin, du kannst so schön schrecklich sein...

N'ayant jamais lu aucun des polars à succès de Volker Kutscher, je n'ai pourtant pas attendu la bande-annonce très réussie de ce qui était alors annoncé comme "la série allemande la plus chère et la...

le 11 avr. 2019

14 j'aime

Atlantique, latitude 41°
Szalinowski
8

Nearer My God To Thee

Je dois faire partie des trois péquenauds au monde (les deux autres étant mon huissier et mon chien) n'ayant jamais vu le Titanic de James Cameron. À l'époque, ni la perspective des effets spéciaux...

le 5 févr. 2021

12 j'aime

9