Buñuel et Sade

Dans son autobiographe, Luis Buñuel souligne la grande influence qu'on eut sur son oeuvre les écrits du Marquis de Sade. De fait, le réalisateur espagnol n'a jamais manqué dans ses films de faire référence à des romans comme Justine ou Philosophie dans le Boudoir. Dans La Voie Lactée, sorti en 1969, il y a même une séquence où le marquis apparaît en personne sous les traits de Michel Piccoli.

Cependant, c'est sans aucun doute dans Belle de Jour que la présence du sulfureux écrivain français se fait le plus ressentir...

Encyclopédie universelle

Au départ, Belle de Jour est un livre écrit par Joseph Kessel qui raconte les affres d'une bourgeoise se prostituant la journée. Vu le succès et le caractère sulfureux du roman, les frères producteurs Hakim en achètent immédiatement les droits pour une adaptation au cinéma et décident de confier la réalisation à Buñuel qui avait déjà excellé précédemment avec Le Journal d'une Femme de chambre.

Toutefois, Buñuel n'est pas très emballé par le projet, n'y voyant qu'un mélodrame grossier. Ce n'est qu'après une discussion avec son scénariste et ami Jean-Claude Carrière qu'il décèle la possibilité d'utiliser cette histoire pour décrire et répertorier, à travers le personnage principal, des cas de perversion sexuelle. Pour ce faire, les deux artistes ne vont pas hésiter à interroger de nombreuses femmes à propos de leurs fantasmes et fétichismes et ce, afin de les retranscrire authentiquement sur le grand écran.

Cette démarche presque scientifique fait écho au roman Les 120 jours de Sodome où, derrière cette histoire d'orgie dans un château abandonné, se cache la volonté de Sade de relever de manière exhaustive toutes les perversions et pulsions criminelles de l'homme. D'ailleurs, de nombreux analystes n'hésitent pas à souligner le caractère encyclopédique de l'oeuvre et son influence sur les travaux de Freud.

C'est ainsi qu'avec son catalogue répertoriant les fantasmes féminins, Belle de Jour semble donc construit sur le même modèle que Sodome même si bien sûr, un film de deux heures n'a pas le temps d'être aussi complet dans son énumération que le roman.

De la réalité au rêve

Comme à son habitude dans ses films, Buñuel n'hésite pas dans Belle de Jour à ajouter des séquences de rêve qui sont ici les illustrations des fantasmes les plus extrêmes de Séverine. Cette technique lui permet d'avoir un champ d'inspiration plus grand et moins contraignant, mais aussi d'y incorporer des scènes reprises directement des romans de Sade. L'ouverture du film dans le parc fait ainsi explicitement référence à un passage de Justine où l'héroïne se fait attaquer dans les bois par des chiens.

Au fur et à mesure du film, le rêve se confondra avec la réalité, principe cher au cinéma de Buñuel. On soulignera que le rêve était aussi primordial dans l'oeuvre du Marquis, celui-ci estimant que c'était avant tout le songe et l'imagination qui enflammaient les sens...