Les voies du seigneur sont impénétrables.

Festival de Cannes 9 juillet 2021, un parfum de scandale souffle de nouveau dans l'institution des salles obscures du Cineum (rodées à l'exercice depuis la sortie de la dolce vita de Fellini en 1960) , le "Hollandais violent" fait son grand retour, mais cette fois la provocation et la proposition sont différentes , le public a déjà tout vu, difficilement impressionable et familiarisé avec le style particulièrement sournois du cinéaste depuis les élucubrations d'un Basic instinct , il anticipe à quelques écarts près les différentes agressions qu'il va devoir endurer .
La tâche du film est alors délicate, et son rôle exact, encore mal perçu. Il se trouve coincé entre les attentes des admirateurs qui espèrent une nouvelle infamie digne d'une veille rock star sur le retour, et des détracteurs qui perçoivent seulement une de ces traditionnelles sensations de festival parmi tant d'autres. Et si la véritable implication du film était plutôt de nous questionner sur notre rapport a l'image ?


"L'icône" "Imago" ou effigie en latin "Imitari" imiter l'image à travers l'art, la peinture, la sculpture , la gravure. La représentation religieuse est par nature profanation car considérée comme unique et interdite à la reproduction, le culte des images est donc falsification par essence de l'original , prohibé par l'église .
<< Tu ne te feras point d'image taillée, ni de représentation quelconque des choses qui sont en haut dans les cieux, qui sont en bas sur la terre, et qui sont dans les eaux plus bas que la terre.>>
La représentation religieuse est pas essence un mensonge , fondamentalement une contrefaçon de la vérité, Verhoheven le sait, il connaît son aspect illégal , il peut donc à partir de ce constat lui faire subir toutes les sèvices possibles et imaginables, et c'est ce qu'il va faire !


Le métrage devient un catalogue d'images interdites ( nonnes lesbiennes, scènes de torture, gags scatologiques) un Jésus a la fois iconisé et ridiculisé, un guerrier tueur de démon et un martyr émasculé ( qui est en fait une mauvaise interprétation du personnage principal de la représentation d'un Christ uniquement perçu à travers "l'imagerie" biblique qu'on lui a inculquée et de l'anatomie féminine qui est pour elle la seule vérité existante ).


Un défilé de figures illicites insidieusement parsemées dans le film par petites touches ici et là ( une fiente de pigeon qui sera interprétée comme un premier signe divin , le dévoilement d'un sein, une main ébouillantée, le jaillissement du lait maternel) dans une perception du corps de la femme qui n'a plus rien d'érotique mais utilisé comme un objet de discorde un instrument du diable totalement incompatible avec les illustrations asexuées des Saintes Écritures.
Verhoheven s'éloigne donc de la caricature charnelle des films pornographiques issus de la nunsploitation qui n'ont que pour seul but le désir de la gent masculine, se rapprochant plus des abominations visuelles d'un film comme les Diables de Ken Russel, créant un monde parallèle, un simulacre, un épicentre de la décadence dans un microcosme du couvent régi par ses propres règles (comme la boîte de strip-tease de Show girls).


Un bûcher des vanités des jeux de pouvoir,de la manipulation et du contrôle.


Flirtant par moment avec la série b, avec sa photographie moche très " française " comme pour stigmatiser un genre de production très renfermée sur elle-même, le film parodie sa propre image tout en étant conscient de son impact sur les deux facettes du public contemporain , d'un côté "blasé" et dubitatif et de l'autre faussement politiquement correct et garant de la bonne conscience ( la cancel culture , les mouvements me too).
Ironiquement, et malgré tout ce que je viens de dire, le film n'a pas véritablement vocation à être subversif, il joue plutôt sur un autre registre plus pervers, celui de la farce. Conscient de ses propres limites et de son côté parfois too much.


Un poème du kitch qui élève le mauvais goût au rang d'art ,une constantante du cinéma de Verhoheven comme avec la satire d'un Starship Troopers ou Robocop, des critiques d'un certain impérialisme américain, qui joue avec les habitudes du spectateur qui ne sait alors plus sur quel pied danser. Elle sortie en 2016 était déjà une réflexion post moderne sur les questions de la morale et l'idéologie d'un féminisme totalement dévoyé dans ses fondements , Benedetta lui, anticipe presque la pandémie du Covid19 et son lot de lanceurs d'alerte et de hashtag permanent, symbolisée par une peste noire qui devient centre de tous les conflits .


Ultime sacrilège, le plan final, sur la nudité frontale de ces deux femmes s'éveillant dans une auberge évoquant à la fois l'iconographie de la nativité d'un Jésus qui n'a plus rien d'innocent et d'une Marie loin d'être vierge... tout autant que l'avènement d'un nouveau monde dominé par un couple d'Adam et Éve ( ou Éve et Éve) tombé d'un Jardin d'Éden totalement corrompu dans son infrastructure, un tableau final qui laisse le doute sur les véritables motivations de l'héroïne principale, qui résonne comme un anti Thelma et Louise, est-ce une affabulatrice ? Une manipulatrice qui met en scène de faux miracles à dessein tel le réalisateur conscient du mensonge qu'il construit à travers la fiction ? Ou une véritable croyante illuminée mais sincère (autre reflet du réalisateur et son amour du cinéma et sa fascination de la religion )? Quoi qu'il en soit, le panneau final nous laisse sur une puissante incertitude d'un monde damné et irrécupérable mais paradoxalement épargné par la peste , le mal et le monde extérieur.

Florian_FASSETTA
8

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Les meilleurs films de 2021

Créée

le 17 janv. 2022

Critique lue 92 fois

Critique lue 92 fois

D'autres avis sur Benedetta

Benedetta
Plume231
8

Shownuns!

Alors un de mes réalisateurs préférés dirigeant dans un rôle principal une des actrices préférées, autant le dire, Benedetta était une de mes plus grosses attentes de l'année ̶2̶0̶2̶0̶ 2021...

le 12 juil. 2021

75 j'aime

26

Benedetta
JasonMoraw
8

Pilonner le blasphème par le God

Paul Verhoeven est un éternel franc-tireur. Un crucifieur de la bienséance. Un provocateur controversé. Son cinéma reprend sa place d’instrument de libération bien décidé à s’absoudre des...

le 12 nov. 2021

60 j'aime

9

Benedetta
Jb_tolsa
4

Tétouffira

C'est Brigitte. Elle est vive d'esprit, et au moyen âge, les filles vives d'esprit finissent violées ou au bûcher. Habile, son père la sauve de ce destin tragique et la place dans un couvent contre...

le 6 janv. 2023

55 j'aime

30

Du même critique

Detroit
Florian_FASSETTA
10

Critique de Detroit par Florian_FASSETTA

Formellement, un réalisme friedkinien, à l’orée du documentaire, froid et névrotique. Dans l’intention, un engagement politique provocateur, un coup d’épaule à l’Amérique style Lumet. Oui, les films...

le 25 sept. 2018

6 j'aime

Rosemary's Baby
Florian_FASSETTA
10

Les Enfants maudits de l'Amérique.

Rosemary’s Baby, c’est un modèle d'angoisse contemporaine qui va inspirer des films comme l'Exorciste ou la Malédiction, ou plus récemment des hommages maladroits comme Mother ou Hérédité. Mais c’est...

le 1 mai 2019

6 j'aime

1

Le Guépard
Florian_FASSETTA
10

Critique de Le Guépard par Florian_FASSETTA

« Si nous voulons que tout reste pareil, il faut que tout change » Cette phrase, prononcée par Tancrède Falconeri ( Alain Delon ) à son oncle le principe Don Fabrizio Salina ( Burt Lancaster) et...

le 11 sept. 2021

1 j'aime