Quand le metteur en scène du riche Babel et de l’intrigant Biutiful sort Birdman en 2015, Alejandro Gonzalez Inarritu crée un véritable raz-de-marée. Ceci pour plusieurs raisons apparentes. Un casting 4 étoiles qui parvient admirablement à se donner la réplique. L’ancien rôle-titre des Batman de Tim Burton, Michael Keaton interprète un personnage d’une proximité presque autobiographique. Dans le film, Riggan Thomson est un comédien vivant dans l’ombre de son rôle de super-héros datant de 20 ans, en quête d’un renouveau dans sa carrière. Il monte donc une pièce et place tous ses espoirs dans celle-ci. Il sait que ses proches et le monde de la presse l’attendent au tournant.
Une des autres raisons apparentes réside bien sûr dans le (faux) plan-séquence adopté par le cinéaste pour nous livrer ce récit. Soit, ce n’est pas révolutionnaire (technique déjà présente dans La Corde de 1948), mais ce parti pris nous donne une fluidité magistrale des images. Elle contribue à une mise en abyme certaine dans laquelle un spectacle se dessine au sein d’un autre spectacle, entouré de couloirs sans fin.
L’œuvre est parfaitement millimétrée dans cette longue colonne vertébrale rythmée par un cœur jazzy. La musique nous guide dans ces longs couloirs. Inarritu démontre bien sa singularité avec ce film d’une scénographie précise dans laquelle s’entrecroisent différentes personnalités. Ils se retrouvent et se séparent dans cet hommage à l’art de la performance vivante. Ce n’est pas par hasard que nous nous retrouvons dans le monde de Broadway. Nous accédons ainsi au Temple des comédiens, dans laquelle la critique peut tuer ou sauver une carrière. Notre espace diégétique est limité aux murs du théâtre et aux rues new-yorkaises.
L’enjeu est là pour notre protagoniste. Thomson revient dans les sources de l’art de jouer. Dans une industrie dominée par la production de blockbusters comme ceux des Marvel, les comédiens actuels doivent soit rentrer dans une marge ou bien se remettre en question en prenant des risques. Il y a bien une distanciation de la notion d’acteur à celle de star de cinéma (une « movie star »). Les comédiens, eux-mêmes des « personnages » mis au premier plan de notre société, ne savent pas se reconnaître devant un miroir. Ils doivent ouvrir un journal pour voir à quoi il ressemblent, une image qui ne leur appartient plus.
Le film aborde des thèmes durs et crus et réussit à passer à la suite sans aucune césure. Conformément aux différents personnages, un panel important de fortes émotions transparaissent : de l’humour potache à une tristesse naturelle enfouie en nous tous qui sort à des moments inopportuns pour nous donner de magnifiques scènes.
Même si notre cadre paraît relativement limité, Inarritu et son équipe utilisent de grands moyens pour faire de ce récit un conte bien à part. Que ce soit dans la mise en scène pointilleuse, les effets spéciaux ou même la voix-off, ce film dépeint l’Homme, ses crises constantes d’identité et sa place dans le monde. Dans cette volonté de soulever la question de l’estime de soi, l’œuvre tout en n’étant pas simpliste au vue des moyens donne une dimension très personnelle qui touche directement.
Dénonçant des paroles limitées à des « étiquettes », Thomson étouffe et veut sa liberté. Birdman est un film libre qui parle, qui bouge sans limite: c’est une œuvre affranchie de tout.