Riggan Thomson est un acteur Hollywoodien à succès des années 90. Son succès il le doit essentiellement au rôle du super héros “Birdman” qu'il a incarné au grand écran le temps d'une trilogie, puis plus rien. N'ayant jamais voulu rempiler pour un quatrième, Thomson vivra une longue traversée du désert. Assoiffé de projecteurs et animé d'un désir profond de reconnaissance artistique, l'acteur à Blockbusters tente un comeback 20 années plus tard sur les planches d'un theatre de Broadway dans l'espoir de renouer avec le succès et avec sa gloire perdue.


J'aurai aimé être né en 1938, cette année là précisément, j'aurai alors eue la chance inouïe de découvrir, l'année de mes 30 ans, un film comme “2001 l'Odyssée de l'espace” de Stanley Kubrick. Parfois je me perds dans ce genre de voyages temporels et je me demande quelle a pu être la réaction, la sensation, du spectateur privilégié qui a découvert une de ces oeuvres, désormais ancrée dans le répertoire historique du cinéma, sur grand écran, sans savoir à quoi s'attendre… j'y ai souvent pensé, puis hier, en allant voir “Birdman”, j'ai vu quelque chose de grand, qui flirtait avec l'impossible, du grandiose… je pense désormais pouvoir affirmer avoir vécu expérience similaire.


Pour bien appréhender “Birdman” il est important de le prendre pour ce qu'il est : ce film est un morceau de Jazz qui avance au son de la batterie d'Antonio Sanchez, au rythme imprévisible, libre, impertinent, culotté, mais surtout très intelligent, maitrisé et méticuleusement pensé, Iñárritu virtuose. Ce film se déroule en un plan séquence de deux heures (évidemment grâce à un montage très ingénieux, aucune ficelle visible) au service d’une photographie minutieuse et soignée du grand Emmanuel Lubezki (Tree Of Life, Gravity…) nous embarquons dans le monde d'un théâtre de Broadway mais aussi et surtout dans la tête des acteurs qui le font vivre, et en particulier dans celle de Michael Keaton alias Riggan Thomson alias Birdman.


Hollywood vs. Broadway
Riggan Thomson, est le pur acteur hollywoodien, pur produit du monde du showbiz, il est le parfait opposé de Mike Shiner (Edward Norton), lui c’est un véritable acteur, un artiste digne des planches les plus prestigieuses de Broadway, tellement acteur qu’il en fini par ne pouvoir être lui même uniquement sur scène et se surprends à jouer un rôle dans la vraie vie, une inversion des pôles déroutante.
Le monde auquel appartient Shiner, Thomson veut y appartenir, à tout prix, au prix de de toutes les hypothèques et de sa santé mentale. Cette situation nous expose à quel point la reconversion si elle n’est pas de tout les dangers, s’avère souvent impossible. Cette reconversion rêvée par les acteurs hollywoodiens vers le travail d’artiste salué par la critique que représente Broadway et le theatre en général.
Mike Shiner est un artiste, qui ne désire rien prouver, il veut juste jouer pour se sentir vivant quitte a tout envoyer balader en pleine représentation sur scène. Jouer c’est inné pour lui, quand Thomson est obligé de faire des pieds et des mains pour devenir ce qu’il aimerai être : Mike Shiner.


Peur de Perdre
La critique est ici representée par une journaliste du New York Times, toujours accoudée au bar d’un petit troquet, vodka, carnet et stylo toujours a portée de main, elle est froide, impassible et calme, comme un oracle que l’on n'ose approcher de peur de s’attirer les foudres de sa colère ou tout simplement l’affront de son mépris.
Cette ligne rouge, Thomson va la franchir, va alors s’engager un rapport, d’abord basé sur la séduction, mais séduction à sens unique, ce qui va le pousser dans ses retranchement et lui faire expulser toute la rancoeur qu’un acteur mal jugé peut avoir sur la critique sans jamais pouvoir s’y confronter. (qui fait sans doute écho a des critiques négatives du temps des films “Birdman” ?)
Ce que nous dit cette scène, c’est que la critique est cruelle parfois, mais la critique c’est le public, et le public a toujours raison.
Souvent qualifies de frustrés, il s’avère alors que ce sont les artistes qui ressentent de la frustration face à la critique, pas nécessairement l’inverse, la critique ne cherche pas la lumière de l’artiste, elle possède en revanche le pouvoir fatal de la lui enlever, on en revient au même noeud problématique : l’ego artistique, le refus de l'avis extérieur.


Action et verites
Des artistes, ce film nous en propose une jolie palette, animé par la même passion des planches mais pas pour les mêmes raisons.Le personnage de Noémie Watts voulait réaliser un rêve d'enfant en devenant actrice à Broadway, son drame c'est qu'à la manière d'un mirage, le rêve disparait aussitôt qu'il est touché du doigt. A l'inverse le personnage d'Edward Norton est coincé dans un cauchemars, celui d'être artiste par essence, sans jamais l'avoir choisit, il l'est c'est tout, il n'est lui même que lorsqu'il est sur scène et se met à jouer un rôle une fois le rideau tombé, il ne sait pas comment faire.Cette situation douloureuse pour ce personnage est poetiquement dénouée par la scène sur le toit, le dialogue du “Truth or Dare” (Action ou verité) avec l'excellente Emma Stone, qui joue la fille, ex toxicomane, de Riggan.Un délicat rapport de séduction s'installe entre Mike (Norton) et Sam (Stone) : Sam propose de jouer à action ou vérité, Mike ne choisit que des vérités quand Sam préfère l'action.Sam est le lien entre le commun des mortel et les artistes, le point de repère, elle représente la clairvoyance dans cet univers d'illuminés, le rapport terre à terre avec la vie. Pour garder ce lien, elle s'adonne d'ailleurs a un rituel : elle représente par un tiret tracé au marqueur noir, des milliers d'années tout au long d'un rouleau de papier toilette, afin de se rappeler chaque jour que nous ne sommes que peu de chose !Mike quand a lui, a peur de la verité, peur de ce qu'il ne connait pas. Mike a peur de la vérité parce qu'il faudrait faire tomber son masque d'acteur pour se laisser aller à l'amour, pour tomber enfin amoureux de Sam.


Le Retour de Birdman
Iñárittu, adepte des destins croisés (21 Grammes, Babel, Amores Perros…) prouve qu'il maitrise également l'art de la mise en abîme, dans l'écriture tout d'abord : mettre en scène un acteur qui joue une pièce qui a un impact direct sur sa vie, mais surtout mettre en scène Michael Keaton qui a été, pour nous tous, avant tout le grand Bruce Wayne dans le “Batman” de Tim Burton dans les année 90.Il y a aussi une réflexion sur le choc entre le monde des blockbusters de commande et les films d'auteurs.Cette scène bourrée d'effets spéciaux de monstres et de boules de feu durant laquelle Riggan décide de redevenir enfin ce qu'il aurait toujours du être : Birdman, est un roulement de mécaniques d'Iñárittu aussi culotté qu'intelligent. Par cette scène il explique aux spectateurs : Regardez, je sais aussi le faire, c'est facile, bien plus facile tout ce que j'essaie de vous dire au long de ce film.Il est aussi et surtout ingénieusement prévoyant avec cette scène. Je m'explique : le dernier film qui a provoqué en moi pareille émotion c'était le “Tree of Life” de Terrence Malick, film à l'accueil plus que mitigé par les critiques et le public. Bien que “Tree of Life” et “Birdman” n'aient rien en commun d'un point de vue stylistique, ce sont néanmoins deux films qui ont pour intention d'élever les spectateurs, de les transcender intellectuellement, de provoquer en eux des multitudes de questionnements philosophiques. Là ou Malick a été surement trop optimiste, Iñárittu à su prendre les devants. Nombreux sera le public qui ira voir “Birdman” en pensant assister à un nouveau film de super héros type Marvel (largement snobés d'ailleurs dans le film, pas d'attaque envers les films de DC en revanche…) et nombreux seront ceux qui se sentiront déçus de ce qu'ils auront vu.C'est en grande partie pour ce public là, propice a conspuer le film, qu'Iñárittu a intégré cette scène au film, comme pour leur dire poliment : élevez-vous, envolez vous plus haut que cela, le divertissement c'est bien, il en faut, mais ne vous en contentez pas !Ce message semble lui tenir à coeur alors que nous évoluons dans une époque ou le Buzz est le nouveau Saint Graal, ce fameux Buzz illustré prodigieusement par la scène ou Riggan coince son peignoir dans la porte, enfermé à l'extérieur du théâtre, condamné à abandonner sa “cape” et a traverser Time Square en slip pour regagner l'entrée du théâtre.Scène brillante qui illustre la longue traversée du réel avant d'enfin rejoindre la scène, traversée pendant laquelle il sera filmé par les badauds, et la video atteindra plus de vues sur youtube qu'il n'en aura jamais dans une salle de Broadway. Constat déprimant avec lequel il faut désormais composer.


L'envol
Pourquoi un artiste, est-il dote d’un ego aussi ancré finalement ? Il pense avoir un don, cette voix dans la tête qui lui répète qu’il est spécial, cette sensation de pouvoir bouger des objets par télékinésie ou de voler.Thomson sait voler, évidemment puisqu'il est Birdman, il vole au dessus de la ville de New York, nous le voyons faire, il plane sous nos yeux, il plane comme nous avons tous au moins une fois rêvé de le faire étant enfant, sans artifices, sans efforts.Est-ce vrai ? Vole-t-il vraiment ? Est-ce vraiment important au final ? Même si le réalisateur nous met la puce à l’oreille quand le chauffeur de taxi viens réclamer le prix de sa course après que Thomson ait plané tout le long au dessus de lui…Le fait est que Thomson vole parce qu’il rêve et c’est précisément ce qui fait de nous un artiste ou pas : le rêve et le besoin vital de création. Le plus difficile n’est pas d’être artiste, c’est de le prouver !Riggan Thomson, au fond est un incapable obstiné, il lutte et échoue sans cesse, il rate même son suicide sur scène, moment qui aurait du être sa consécration, il se rate et s'explose le nez avec un pistolet…sur scène.Comble de la chose : il finit à l'hôpital, plâtre sur le visage, comme pour lui dire qu'il est condamner à rester Birdman à vie. Le masque enlevé, la chirurgie réparatrice change son visage à jamais, méconnaissable, donc fin de la célébrité.Riggan s'approche de la fenêtre de sa chambre d'hôpital, l'ouvre, observe un banc d'oiseau en plein vol, et saute…Sa fille rentre dans la chambre, Riggan n'y est plus, elle se précipite au bord de la fenêtre ouverte, jète un oeil bref en bas pour aussitôt lever son regard vers le ciel les yeux écarquillés. C'est brillant : Riggan s'est envolé, il a rejoint les oiseaux, la nature, , loin du joug de l'égo, ce à quoi chacun d'entre nous est destiné : la libération.“Birdman c'est l'histoire de cette quête moderne, dans une époque (…) ou de plus en plus d'Icare se brulent les ailes sous les projecteurs”


Icare
“Birdman” c'est le mythe d'Icare version 2015, cet homme-oiseau super héros qu'il y a en chacun de nous, nous qui nous pensons si spéciaux, cet égo qui nous pousse à croire que notre vie doit être le centre de gravité de toutes les autres. Ce même égo qui fait que nous nous frustrons pour un idéal fantasmé et des plaisirs superficiels au détriment de ce qui est essentiel (la nature humaine, la famille, les plaisirs simples, la réflexion, etc.)Cet égoïsme auquel vient s'ajouter le désir artistique, la reconnaissance, le besoin vital de laisser une trace de son passage sur Terre avant que le rideau ne tombe définitivement. Ce film s'adresse aux spectateurs, nous pose la question : êtes vous réélement artiste ? En quoi cette sensation d'etre artiste vous pousse à vous croire plus important que les autres ?Ce film c'est l'anti hype ambiante (contrairement à ce que j'ai pu lire ci et là), il remet de l'ordre dans une époque où tout le monde rêve d'embrasser une carrière artistique.“Birdman” c'est l'histoire de cette quête moderne, dans une époque ou les réseaux sociaux et le Buzz font loi sur le rythme de nos vies, dans une époque ou de plus en plus d'Icare se brulent les ailes rapidement sous les projecteurs…

RomainGarcin
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le 30 janv. 2016

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Romain Garcin

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