Noir, c'est noir (et pas autrement!)
Ça commence vraiment bien : dans les vingt premières minutes de son film, Diao Yi'nan alterne avec beaucoup d'inspiration des scènes tantôt réalistes ancrées dans une Chine contemporaine industrialisée et tantôt formalistes, où le kitsch n'a pas peur de s'inviter. A ce titre, la scène des meurtres chez le coiffeur, éclairée au néon et aux couleurs pastels, constitue un moment fort du film par le bouleversement plastique et le brusque changement de ton qu'il impose au film. Le burlesque
chahute alors le naturalisme des premières séquences.
A la suite de cette séquence meurtrière, Diao Yi'nan impose à son récit un saut dans le temps de 5 ans grâce à une ellipse symbolisée par un plan-séquence mémorable dont il ne faut rien dire pour ne pas en écorner la découverte. D'autres (bouts de) cadavres sont découverts et ramènent à la veuve du premier homme assassiné et découpé, c'est à dire le meurtre matriciel du récit. Black Coal va alors suivre scrupuleusement l'enquête qui va mener au coupable. C'est alors que le film se perd un peu. Tiraillé entre, d'un côté, des tentations plastiques réussies (certains plans sont très composés et vraiment beaux) et un certain effilochement de sa narration et, de l'autre, l'envie de rendre hommage au film noir, Diao Yi'nan hésite et choisit la voie la moins intéressante, c'est à dire celle du film noir. Tout y est : les codes narratifs, la femme fatale, la référence explicite au Troisième Homme. Le réalisateur s'en sort avec les honneurs : le récit, assez attendu, n'est pas inintéressant et plutôt bien mené, malgré des rebondissements qui s'éternisent et gonflent artificiellement la durée du film. Paradoxalement, l'ennuie pointe dans les dernières séquences de résolution de l'énigme alors que le film fascine lors des séquences où les enjeux plastiques sont au premier plan. Il en est ainsi de la séquence, presque déréalisée, de la séduction à la patinoire, séquence particulièrement envoûtante. Le travail sur le son mérite que l'on s'y arrête également: Diao Yi'nan réussit quelque chose d'assez fort en produisant des sons très naturels dont se dégage pourtant une grande artificialité. L'omniprésence de celle-ci tout au long du film introduit un climat assez angoissant, y compris au cours de scènes potentiellement banales.
Enfin, l'aspect plastique se ressent également dans les fameux « feux d'artifice en plein jour » qui donnent au film son titre original. Nom d'un club au centre de l'intrigue, ces feux d'artifice sont (trop) littéralement représentés dans la belle séquence finale. Ces feux d'artifice quasi-invisibles témoignent alors de l'insignifiance des événements qui se sont déroulés et de l'impuissance du peuple à pouvoir conquérir une visibilité aux yeux des autorités, ici représentées par les policiers qui ont investi l’immeuble dont sont tirés ces feux d'artifice en plein jour. Un coup pour rien, en somme. Un peu comme ce récit qui vient parasiter une œuvre que les revendications et enjeux plastiques auraient pu inscrire plus longuement dans la mémoire du spectateur.