Vos croyances ne vous sauveront pas

Je ne sais pas pourquoi, j'ai un souci avec ce film. Pourtant je devrais l'aimer. C'est un film qui touche une période qui m'intéresse et un genre (le film de pandémie) qui reste encore trop rare à mon goût (du moins les films de qualité), il y a Sean Bean qui meurt avant la fin (ce qui n'est plus un spoil) mais surtout on touche à un de mes centres d'intérêt : l'humain et ses croyances. Mais alors pourquoi Black Death me laisse-t-il un goût amer ?


Nous sommes au moyen-âge et toute l'Angleterre est submergée par la peste et la religion laissant des tas de cadavres derrière elles. Toute ? Non ! Un petit village niché au cœur d'un marais résiste encore et toujours à l'envahisseur pestilentielle. Des rumeurs, contée par monts et par vaux, disent qu'un nécromancien se nicherait dans cette communauté isolée. Dieu merci, un contingent d'inquisiteurs est envoyé pour éclaircir cette situation et ramener tout ce beau monde à la réalité. Dans ce groupe sanguinaire se trouve un jeune moine déchiré entre sa dévotion à Dieu et un amour terrestre (donc forcément impure) qui espère retrouver sa dulcinée.


Ni démon, ni sorcière, ni nécromancien, les soldats de Dieu tomberont nez à nez avec un village ayant fait table rase du dieu vengeur et imprévisible pour se concentrer sur le développement de leurs savoirs et leurs connaissances. Inutile de dire que la "nuance" entre sorcellerie et approche rationnelle est incompréhensible pour des serviteurs dogmatiques qui ne lisent le monde qu'à travers leurs croyances mystiques indéboulonnables.


Bien plus que la peste, Black Death aborde la question de l'obscurantisme religieux qui permet de rassurer la population en tant de crise. Alors qu'aucune explication rationnelle ne semble fonctionner, on se tourne vers des coupables et bouc-émissaires tout trouvés : un Dieu qui puni pour une désobéissance, une intervention diabolique et maléfique, les sorcières, insérez ici quelqu’un ou quelque chose que vous n’aimez pas ou ne comprenez pas, etc. Le terreau de l'ignorance prépare la poussée de la pandémie. Seuls les villageois « athées » ont compris l'importance du monde matériel et de la logique leur permettant de préparer des onguents efficaces. Mais finalement, c'est seulement la distance qui maintenait la communauté hors de la peste, chose que les serviteurs de Dieu leur ont amené consciemment.


Si le sujet et la manière de l'aborder sont très intéressants, l'écriture est à la ramasse. Une bonne partie du film ne sert pas à grand-chose à part gagner du temps, en premier lieu la scène d'embuscade dans la forêt. Sa mise en scène brise l'ambiance mystique et maléfique dans lequel le voyage entraînait nos personnages. L'enquête au village est au contraire trop rapide et ne nous permet pas de bien rentrer dans la philosophie de ses habitants qui nous paraissent finalement tout aussi tarés que le groupe d'inquisiteur. Eux aussi semblent avoir leur délire mystique. Ont-ils une raison d'agir comme il le font ? Pourquoi sont-ils comme ça ? On en saura rien.


Difficile dès lors de s'accrocher à des personnages que l'on exècre tout au long du film, sachant que notre ami moine est tout aussi frappadingue. Les tortures que les protagonistes subissent ne nous font ni chaud ni froid, rendant l'aspect sanglant inutile et purement gratuit - hypothèses grandement renforcé par l'attitude du réalisateur dans les bonus qui espère nous terroriser alors qu'on se fout de ses personnages comme de notre premier cours de catéchisme.


C'est là que le bât blesse. En fait, au vu de ses objectif, le film est totalement loupé. L'aventure ne nous emporte pas, l'ambiance et le gore ne nous terrorisent pas, les personnages nous laissent froid. En clair, nous restons en dehors d'un film qui ne peut nous paraître désormais que trop ambitieux pour un projet fauché. Enfin, même avec un meilleur budget je ne pense pas que ça l’aurait vraiment sauvé de son réalisateur (il suffit de voir sa filmographie pour s’en convaincre).


Black Death n'arrive à nous intéresser que grâce à l'alimentation du doute chez le spectateur : y a-t-il vraiment une solution magique où tout cela est purement rationnel ? Comment nous placer en fonction de nos propres croyances ? A quel point pourrais-je moi-même remettre en cause ce que je pense savoir ? Ce qui fait l'attrait de ce film, c'est la réflexion méta-cognitive du spectateur qu'il a en face ; c’est-à-dire une réflexion interne sur ses propres croyances et sa propre vision du monde. On sent que ce film nous travaille et nous pose question. Mais bon, une interrogation psycho-philosophique personnelle, aussi passionnante qu'elle soit, ne fait pas d’un vulgaire objet une œuvre à part entière.

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le 2 juin 2021

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