Évidemment, lorsque l'on entend parler d'un nouveau long-métrage de Scott Derrickson en partance pour des ténèbres inédits sous pavillon Blumhouse, les amateurs de bonnes ambiances glauques que nous sommes se mettent d'emblée à guetter sa prochaine venue sur grand écran.


En plus d'une véritable habileté à entrecroiser les genres (de "L'Exorcisme d'Emily Rose" qui l'a révélé, mix entre le film d'exorcisme et celui de procès, à son récent "The Gorge", film fantastique à mystère élaboré dans l'écrin d'une romance pour mieux se muer en survival d'action horrifique, on peut même y voir une marque de fabrique à force), les œuvres de Derrickson se distinguent en effet assez facilement de la production épouvante/horreur U.S. grand public (et donc souvent Blumhousiennes) par leur capacité imparable à mettre le spectateur sous tension via leurs atmosphères sinistres, pesantes et jouant souvent sur la juxtaposition des pires penchants de l'âme humaine à un imaginaire obscur et susceptible de vous glacer le sang à la moindre de ses manifestations.


Si "Sinister" premier du nom s'est vite imposé comme son plus grand succès en ce domaine, "Black Phone" en est devenu l'évident successeur dans sa filmographie (du moins, à nos yeux) par son alliage terriblement efficace de thriller psychologique et de surnaturel parfaitement dosé pour en traduire les ramifications les plus noires qui grouillaient en son sein, et ce aussi bien du côté de son antagoniste tueur d'enfants (l'Attrapeur), à la silhouette démoniaque se mouvant dans un quartier de banlieue américaine des 70's, que de celui de sa jeune victime torturée, devenue malgré elle le bras armé d'une expiation réclamée par tant d'autres passées avant elle grâce à des coups de fil venus d'un autre monde.


Cependant, alors que "Black Phone" se terminait de façon pleinement satisfaisante, Derrickson a rapidement évoqué la possibilité d'une suite dans le sillage de son succès rencontré en salles... Et, malgré toute la sympathie que l'on pouvait avoir pour lui en remerciement des frissons procurés, on ne voyait pas trop ce qu'une extension à ce film pouvait raconter sinon l'ouverture d'un standard téléphonique en liaison directe avec l'au-delà par un opérateur pris d'un coup de folie.


1982. Quatre ans donc après les méfaits du défunt Attrapeur, Finney et Gwen, sa sœur clairvoyante, vivent encore avec le traumatisme glaçant de leur expérience hors du commun. Alors que le premier répète les comportements qu'il exécrait plus jeune en ignorant le passé, Gwen, elle, se met justement à rêver de paysages glacés autour d'un camp religieux pour enfants, où sa mère fut monitrice en 1957, avec de nouveaux visages de petits morts en détresse.


À la question "Est-ce qu'il était indispensable de faire une suite à "Black Phone" ?", ce deuxième opus ne pourra jamais nous faire réellement scander un "oui" franc et massif.

Malgré une exposition très bien conçue en vue de nous faire renouer et replonger de façon immédiate dans le climat si étrange du premier film, le mystère entretenu va vite fondre comme neige au soleil devant la maigreur des enjeux qui s'y cachent.

Faire évoluer l'Attrapeur vers une figure meurtrière cette fois purement surnaturelle, aux forts relents d'un certain vagabond des rêves bien connu des habitants d'Elm Street, n'était pas une idée si sotte (après tout, au-delà de ses victimes fantômes, son accoutrement excentrique de kidnappeur et son masque en faisait déjà un "monstre" filmé comme tel, en dehors de la réalité, dans le premier long-métrage) mais ses motivations et le lore qui l'accompagne, jusque dans la manière de le vaincre, ne se résument malheureusement qu'à un bis repetita du précédent, sans grand autre argument que de revenir torturer ses anciens pourfendeurs sous une forme plus insaisissable.

De même, ces derniers ne sont finalement que mués par les cicatrices issues de ce passé commun établi, se devant d'en guérir mutuellement par le biais d'un nouveau rapport de force relationnel (Gwen prend ici clairement l'ascendant sur son frère Finney dans la lutte en train de se dessiner) et de certaines idées scénaristiques très téléphonées (oui, on a osé) pour lier encore d'un peu plus près la destinée intime des héros à celle de l'Attrapeur.

Et puis, il y a ce gros problème de durée bien trop longue pour si peu à raconter. Comme il est une de leurs valeurs sûres (à juste titre, avec la rentabilité qui va de pair), on sent que Blumhouse a sans doute laissé les coudées franches -trop franches- à Scott Derrickson sur cette suite, lui permettant de s'étaler sur plus deux heures pour, certes, de bons moments, plus profonds et laissant le temps de vivre/réfléchir aux personnages devant ce Mal masqué, que dans la plupart de leurs productions habituelles mais aussi avec la fâcheuse conséquence de mettre en lumière la faiblesse globale de la proposition, en tout cas bien plus fragile que celle qu'elle cherche à prolonger et sur laquelle elle se bâtit sans jamais parvenir à se défaire de l'ombre.


Est-ce là à dire que "Black Phone 2" mérite d'être laissé poliment sur répondeur ? Eh bien non car, comme évoqué, le plaisir de retrouver ses protagonistes (et leurs acteurs, tous de retour et au top !) plus travaillés et attachants que la moyenne, ainsi que la sinistre ambiance que Derrickson sait si bien maîtriser pour les conduire à nouveau dans les bras de leur cher Attrapeur, est bel et bien là.

L'idée de mettre ici en avant Gwen et ses voyages oniriques dans l'optique de relancer la machine à p'tits fantômes perdus dans les limbes est très bien exécutée, jouant à merveille par le rendu de l'image sur l'état de rêve, d'entre-deux et de réalité (bon sang, Derrickson n'a pas son pareil pour créer le malaise en Super 8/Super 16) afin d'y introduire peu à peu l'aura malfaisante et vengeresse de son assassin revenu des Enfers.

En dépit de piliers moins pertinents pour en consolider la portée, ses apparitions, accompagnées de celles de ses anciennes victimes, via le fantastique et le cadre désormais enneigé dans lequel elles se fondent permettent néanmoins de vraies belles montées en gamme dans l'effroi suscité par une telle entité et débouchent même sur un affrontement final qui, s'il a encore une fois un caractère répétitif global vis-à-vis du premier film, a le mérite d'utiliser et de cumuler tout ce que l'on a pu voir du mode opératoire surnaturel de l'Attrapeur jusqu'ici pour une mêlée générale savamment orchestrée, où chacun apporte sa pierre de bravoure à l'édifice de sa disparition -espèrons-le tout de même cette fois- définitive.


Bon, étant donné que ce "Black Phone 2" connaît un succès au box-office encore plus grand que son prédécesseur, il y a fort à parier que la sonnerie de ce téléphone noir est bien partie pour retentir une troisième fois à l'avenir. Mais, alors là, vu que cette suite résout absolument tout, et même des choses que l'on n'avait pas forcément demandées, que diable un nouvel opus va-t-il bien pouvoir raconter... again ?


RedArrow
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