"It makes 'Trainspotting' look like an after school special."

À ranger dans le petit corpus de non-fictions très pragmatiques sur les drogues les plus sales, avec "Dope Sick Love" (Felice Conte, Brent Renaud et Craig Renaud, 2005) ou encore "Life of Crime 1984-2020" (Jon Alpert, 2021) dans un registre légèrement différent. Le sujet est d'une simplicité confondante : deux années durant, entre 1995 et 1998, Steven Okazaki suit le quotidien de 5 toxicos de San Francisco, en pleine explosion de l'héroïne "black tar". Une variation en provenance d'Amérique du Sud moins chère que les précédentes, de la came bien sale remplie d'impuretés, permettant de baisser le tarif du fix à 15 dollars — et par là-même l'âge moyen des drogués à l'héroïne de 27 à 19 ans. Un documentaire à réserver à un public averti : les scènes de shoots sont nombreuses, la misère sous toutes ses formes est exposée crûment, et la laideur de l'image épouse parfaitement celle de ses sujets.


Soit donc les histoires indépendantes de cinq jeunes addicts, issus de milieux sociaux très différents, avec des trajectoires tout aussi opposées. Globalement il n'y a pas vraiment de surprise : cette drogue parmi les plus dégueulasses les conduira dans des spirales de dégradations toujours plus diversifiées et malsaines. Le docu adopte une structure très simple, quasiment aucune voix off, quelques cartons intermédiaires expliquant brièvement l'évolution de la situation, et des images d'un prosaïsme choquant toute personne normalement constituée — difficile de ne pas détourner le regard. Steven Okazaki n'a pas toujours la main subtile, une musique un peu trop prédominante et sursignifiante s'invite régulièrement dans le champ, mais rien de rédhibitoire cependant.


Aux côtés de Jake, Tracey, Jessica, Alice et Oreo, on passe à travers toutes les épreuves imaginables, les délits pour se procurer la drogue, les maladies inévitables, la perte d'appétit et la déchéance physique, la prostitution, la prédominance du sida et les risques d'overdose. Est-on vraiment surpris, en se renseignant a posteriori, d'apprendre que nombre de personnes apparaissant dans ce film ont depuis été retrouvées mortes ? La copine d'Oreo, l'ex-copain de Tracey, et même plus directement Jake, dont la métamorphose physique et psychologique au cours du temps est particulièrement dure à encaisser. Ils ont tous entre 18 et 30 ans, l'héroïne remplace les repas et marque à vie les visages. Et on cherche des veines, inlassablement, aux bras, aux cuisses, aux pieds, au cou. Au bout d'un moment on n'y prête plus attention aux innombrables aiguilles. Il émerge de temps en temps une vague relation familiale entretenue par téléphone et des relations de couple forcément difficiles. Avec en prime l'éternel aller-retour entre les tentatives de se sevrer et les rechutes.


Ce qui restera : Jake qui s'enfuit de l'hôpital après avoir failli mourir et qui profite de son cathéter pour s'administrer sa dose, Tracey qui devient une dealeuse relativement organisée grâce à l'aide financière de ses parents, Jessica et son rapport au sida sur le thème "I dont have time to care for anybody else", Oreo et sa belle gueule qui semble appartenir à un monde radicalement différent, et enfin Alice, sans doute la moins catastrophique de tous ces pauvres camés.

Morrinson
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le 11 août 2022

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