6,75/10
Il y a quelques années, Woody Allen déclarait en interview essayer à chaque projet de réaliser son Citizen Kane, un chef-d’œuvre, ou au moins un film total, parfaitement accompli. La phrase peut surprendre compte tenu de sa filmographie, et on pourrait s’attendre à l’entendre d’autres bouches, parmi lesquelles celle de Spike Lee, l’un de ces réalisateurs qui semble concevoir chaque œuvre comme la dernière, comme le film testamentaire dans lequel il doit se retrouver entièrement. Ce qui peut expliquer la relative homogénéité thématique de son travail, l’énergie impressionnante déployée film après film à aborder des sujets similaires avec une rare incisivité politique. Constance, énergie, incisivité, que peu de créateurs états-uniens manifestent à un tel degré — je ne parviens pour l’heure à attribuer les mêmes qualités qu’à Oliver Stone — et auxquelles il est difficile d’être insensible.
Et BlacKkKlansman est bien un film total, ce qui justifie pleinement (avec un engagement que l’on sait apprécié par le festival) le Grand Prix décerné à Cannes. Son sujet fort et tiré de « p****** de faits réels », l’arrivée du premier officier de police noir dans la ville de Colorado Springs, en 1978, qui organise l’infiltration de la cellule locale du KKK, se prête aussi bien à des effets humoristiques de décalage qu’à des moments d’intense tension.
Par ailleurs, Lee n’implicite pas la lecture sociale de ces événements, mais la souligne avec une richesse théorique rare pour un film à la démarche globalement didactique. Si Ron Hallsworth veut infiltrer le KKK, c’est d’abord pour se faire remarquer par sa hiérarchie, et dans un geste de provocation irréfléchie contre un « ennemi » qu’il connaît assez mal, par-delà la haine pour laquelle il est connu envers les noirs. Mais il va apprendre à penser sa négriture, grâce à un discours de Kwame Ture/Carmichael, ex-premier ministre honoraire des Black Panthers, à sa romance avec la Présidente de l’association des étudiants noirs du Colorado College, et à sa confrontation avec les préjugés raciaux. C’est ainsi paradoxalement le rejet de certains de ses attributs qui va l’enfermer dans ces attributs, l’obliger à les comprendre et à les revendiquer pour s’accepter comme un être plein, et plus comme deux esprits contraires dans le même corps.
La suite de ma critique ici : https://cinemaeldorado.wordpress.com/la-lettre/la-lettre-darchimede-98/blackkklansman-jai-infiltre-le-ku-klux-klan/