Ce que vous voulez voir et ce que vous voulez entendre.

Ce texte est pourri de spoilers.


Les films de science fiction proposent par définition une ersatz de voyage dans le temps, une vision du futur, mais avec Blade Runner 2049 (et bien après que Gibson, père spirituel du cyberpunk dont Blade Runner fut sans conteste la première proposition cinématographique, situe ses romans dans le présent) Hollywood démontre magistralement son incapacité à imaginer ce futur et invente le film d'anticipation tourné vers le passé.


Au cœur de l'intrigue nous avons la corporation Wallace, dont nous apprenons au début du film qu'elle a inventé une nouvelle agriculture permettant à l'humanité de se nourrir là ou la nature a totalement succombé. Puis nous apprenons que Wallace a racheté Tyrell et repris la production de réplicants puis encore un peu plus tard qu'elle a mis sur le marché JOI, une IA sensible à la Her. Wallace avec à sa tête un président abyssal, les yeux morts et le corps plongé dans l'obscurité humide de ses locaux, semble donc posséder tout à Los Angeles, disposer de moyens infinis lui permettant même de faire pleuvoir le feu mais échoue depuis des années à reproduire le miracle accompli hors-champ par Tyrell. L'intrigue liant l'agent K et Deckard est alors bien fade par rapport à cette quête du capitalisme omnipotent à la recherche oubliée parvenant à remodeler l'imaginaire d'un futur.


Hollywood absolument paniqué à l'idée de prendre le moindre risque copie et colle comme à son habitude. 30 ans plus tard, le Los Angeles de Blade Runner est donc figé. Qu'importe les déboires d'Atari : sa pub trône toujours aussi majestueusement dans 2049 et les locaux de Wallace ont remplacé les volutes de poussières de Tyrell par des ondes reflétés sur les murs. Alors à l'instar de Wallace parvenant à reproduire une Rachael absolument bluffante de ressemblance : ce Blade Runner n'est qu'une illusion qui ne résiste pas longtemps à l'œil expert de Deckard. Le film, trop respectueux, peine à faire croire que 30 ans se sont passés entre la révolte des Nexus et l'enquête menée par K contraint de passer un appel à sa supérieure depuis l'habitacle de sa Peugeot ; faute de Tesla. Une stagnation technologique d'autant plus cruelle que le spectateur de 1982 est passé d'un monde pratiquement sans ordinateur domestique à un monde où tout le monde en a un d'une puissance dont on ne pouvait rêver à l'époque qui tient dans sa poche et qui est interconnecté avec un réseau mondial.


Incapable de faire fonctionner à nouveau la machine à voyager dans le temps, Villeneuve nous ballade donc géographiquement. 2049 ne cesse de chercher à s'éloigner de Los Angeles pour pratiquement toujours nous ramené vers le passé, celui d'une économie industrielle et matérielle dans une décharge de San Diego mais surtout vers une espèce d'age d'or du divertissement à Las Vegas où les fantômes de Sinatra, Marilyn et Elvis sont invoqués. Où plutôt les hologrammes de Sinatra look-a-like, Monroe look-a-like et Elvis look-a-like à en croire le générique. En dernier analyse, le côté toc l'emporte donc toujours sur le respect d'une certaine mémoire collective. Comme si répéter la pop culture apparaissait finalement plus destructeur que conservateur : on écrase la sauvegarde. Wallace et Villeneuve n'ont aucun remord à faire exploser la cervelle de leur Rachael, icône hors du temps qui ne peut décemment pas répondre aux critères de qualité de 2049 et d'aujourd'hui. Derrière cette image c'est aussi le Blade Runner de Scott (déjà grand saccageur de sa licence Alien) qui est écrasé par Blade Runner 2049 : alors que nous quittions Deckard en plein doutes quant à son identité, à ce qui faisait ou non l'humanité, nous le retrouvons plein de réponses dans un monde où la position de chacun : réplicant ou humain, gentil ou méchant est limpide d'emblée. Aucun mystère ne subsiste à la fin du film. 2049 n'interroge plus le spectateur, elle interroge plutôt le consommateur : "Y en a-t-il pour ton argent ?"


Avec les films hollywoodiens des années 2010 : il est important d'y croire. Le marketing, la hype, nos critiques sont là pour nous faire sentir privilégié de voir un film digne de son inspiration, d'être une génération qui va voir un film visionnaire quand bien même il est une reproduction studieuse issue d'une licence antique, d'être les êtres élus capables de détecter ce qui est culte dès la première semaine d'exploitation. Il n'existe plus tant de films que de sequels, des préquels, des remakes, des reboots après tout : autant de produits dupliqués avec une traçabilité sur une chaîne de production. Mais la publicité permet de croire que c'est tout de même un peu plus que ça, que quelque part derrière toutes ces images il y a encore des artistes et des visionnaires.
L'élément le plus enthousiasmant, résolument tourné vers le futur -quoique déjà plus largement et profondément évoqué par Spike Jonze- est certainement le personnage de Joi, IA femme au foyer à la disposition de l'agent K. La première fois que nous voyons Joi dans sa tenue des années 50 -naturellement-, nous percevons une personne dont on comprend aisément à quel point K est attaché. Il lui offre rapidement la possibilité de sortir de la maison pour entrer dans une poche et le suivre partout où il ira comme aujourd'hui on offrirait une bague de fiançailles pour témoigner son amour. Alors que K sait qu'il va être traqué, rebaptisé Joe par Joi pour le convaincre qu'il est cet être spécial qu'il soupçonne être et non plus un robot en esclavage, celui-ci doit prendre le risque de perdre à jamais l'objet de son amour (dans tous les sens du terme) pour le conserver. Et effectivement, il finit par le perdre à tout jamais. Mais leur histoire ne se termine pas là. Alors que K n'est définitivement plus Jo et qu'on l'a informé qu'il n'est en aucun cas l'être de légende qu'il espérait être, Joi réapparait plus belle et gigantesque que jamais dans une de ses omniprésentes publicités et promet au pauvre réplicant que le produit Wallace qu'elle est lui montrera tout ce qu'il souhaite voir, qu'elle dira tout ce qu'il souhaite entendre. Le grand amour meurt une seconde fois en se révélant être une grande illusion commerciale, accessible à tout un chacun. Nous découvrons la publicité après l'expérience de consommateur et sommes donc en mesure de percevoir l'ampleur du bienveillant mensonge dans lequel K était plongé depuis le début du film. Un mensonge bienveillant sur lequel repose aussi largement le succès d'un blockbuster aujourd'hui.


Moins qu'un grand film de science-fiction, Blade Runner 2049 s'avère être un excellent produit et une expérience publicitaire à l'ironie mordante.

Sloth
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le 8 oct. 2017

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Sloth

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