Blindness (Fernando Merelles, Brésil, 2008, 2h)

Comme ça, de nulle part un type perd la vue alors qu’il est au volant de sa voiture, au beau milieu du trafic routier d’un centre-ville. Une âme charitable lui vient en aide, et le ramène jusqu’à chez lui, et en profite pour lui tirer sa tire. Le malheureux dépossédé de sa caisse, et de sa vue (y’a des jours comme ça…) se rend à l’hôpital. Le toubib ne repère aucune anomalie, et l’invite à rentrer chez lui en attendant des tests approfondis. Sauf que…


… le lendemain, le docteur a lui aussi perdu la vue. Paniqué, comprenant que quelque chose ne tourne pas rond, il supplie sa femme de ne pas l’approcher, redoutant un mal d’une nature virale. Ça ne manque pas, quelques heures plus tard elle aussi est devenue aveugle. D’autres cas apparaissent alors, dont le voleur de la voiture, qui paye ici son acte (le karma frère).


Rapidement des mesures sanitaires drastiques sont prises et les infectés sont parqués brutalement dans une sorte d’usine désaffectée, livrés à eux-mêmes, avec à l’extérieur une clôture, et des soldats armés prêt à faire feu à tout moment.


Voilà le point de départ de ‘’Blindness’’, qui débute comme toute bonne fiction sur les virus, avec la découverte du mal, sa propagation, le confinement des infectés, et l’incapacité des institutions à gérer comme il faut la Crise. Le film va même plus loin et les infectés se retrouvent livrés à eux-mêmes, organisant leur société au sein des murs de leur ‘’prison’’.


Tout d’abord, étant totalement étranger au travaux de Fernando Merelles, je n’ai pas pu saisir toutes les subtilités de son art, mais une chose m’a néanmoins interpellée, c’est que le film est particulièrement laid. La photographie est dégueulasse, sûrement le fait d’un parti pris un peu étrange, qui sature les blancs à l’extrême, sans doute pour appuyer le contraste de la cécité des protagonistes pour qui tout est noir. Mais résultat, l’image est d’une laideur abyssale.


Pour ce qui est du métrage en lui-même, il dépeint avec minutie le microcosme des infectés comme la lie de l’humanité. Entre les conflits de leadership, l’écrasement systématique des plus faibles pour contrôler l’ensemble, et la mainmise sur la nourriture afin de jouir d’un minimum de pouvoir.
En ce sens le métrage soulève des questionnements légitimes, qui sous-entendent qu’en cas d’Apocalypse l’humanité se retrouverait dans un premier temps livré à elle-même, par une démonstration de ce qu’elle à de plus pourrie, avant que chaque individu ne s’émancipe individuellement, pour que du positive ressorte de tout ce merdier.


Les plus faibles, les opprimés, finissent par s’unir pour faire la nique aux roitelets auto-proclamés assouvissant un pouvoir cruel, juste parce qu’ils sont dangereux et n’hésitent pas à tuer, violer, et autre joyeusetés liées à l’ADN la plus sauvage de la race humaine. Par le biais d’un pessimisme qui se permet de sonder ce que l’âme humaine peut avoir de plus sombre,


‘’Blindness’’ (en plus de sa photo immonde) est assez désagréable à suivre, et même difficile. La mise en scène induit le spectateur.rice dans une sorte d’urgence, en plaçant son récit sur un tempo serré, tendu en permanence, qui ne demande qu’à exploser. Durant 2h le métrage brasse toutes sortes de thématiques inhérentes au genre, dont je ne dresserais pas ici le petit bréviaire, mais s’il y a bien une chose qui ne peux pas lui être reproché, c’est son immense richesse. Mention spéciale à cette séquence où un borgne (Magnifiquement incarné par le trop rare Danny Glover) raconte aux infectés ce qui s’est passé pendant qu’ils étaient confinés. Le virus s’est propagé, et la civilisation s’est effondrée sur elle-même, non préparée qu’elle était à une telle épreuve.


Si dans la forme le film est raté, et que dans le fond il peine à donner corps à de trop nombreuses thématiques, qu’il bâcle un peu en partant dans tous les sens, ce qui résulte en une douloureuse frustration, additionnée à une esthétique dégueulasse, il a tout de même le mérite de soulever pas mal de questions d’une pertinence certaine.


Face au virus qui frappe subitement, la société n’a absolument pas prévu ce scénario, aveuglée qu’elle est par le jeu capitaliste de la production à outrance. Au point d’en arriver à la négation même de la nature de l’être humain (oui, il n’est pas fait pour travailler 8h par jour dans une usine, mais pour semer, chasser, pêcher, et profiter de l’existence, en animal quoi…), traduite par des absurdités tout aussi improbables que ce système aveuglé par son propre reflet.


Remis en question par un micro-organisme venant rappeler brutalement à l’humanité que le capitalisme et la croissance, ce ne sont que des inventions faites pour passer le temps. Rien de plus qu’une partie de Monopoly géante perpétrées depuis des siècles par des puissants qui se jouent totalement de la vie d’une population réduite au rôle de pions d’un dessein économique fondé sur du vent. Ouvriers ou milliardaires, paysans ou traders, au final tout le monde termine au même endroit, par un retour inéluctable à la terre.


‘’Blindness’’ pose ainsi la question de la vacuité même des fondements de nos sociétés, basées sur un Capitalisme arrogant, sauvage, et aveugle. En ce sens l’œuvre de Fernando Meirelles possède un contenu solide et foisonnant, traité par une radicalité visuelle, comme scénaristique, dont le résultat souffre d’un manque d’âme rendant le film austère et difficilement appréciable.


Ce qui est d’autant plus dommage, car il a vraiment tout pour s’imposer comme une œuvre visionnaire, surtout mis à la lumière de 2020, alors que notre réalité est en train de rencontrer une certaine fiction. Une déception, plus qu’un échec clair et tranché, ‘’Blindness’’ est le type d’œuvre que l’on a envie d’aimer, car elle transpire d’honnêteté, mais se fourvoie malheureusement dans un délire cynique et désespéré qui la dessert.


Une ambiance qui est d’ailleurs diamétralement opposée à un final dissonant, étonnement positif. Avec un happy end des plus étrange, sur lequel plane le doute par l’usage d’un onirisme inattendu. Une démarche qui plus tôt dans le film aurait pu sauver un ensemble trop brouillon, et moche, qui méritait certainement meilleur traitement.


-Stork._

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le 19 mars 2020

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