Le film-testament de Derek Jarman constitue donc un monochrome bleu étiré sur près de 80 minutes censé figurer la perception visuelle de son auteur au pronostic vital fatalement engagé ; alors en proie à une séropositivité l'ayant amené à une cécité complète le cinéaste britannique accouche d'un film-aveugle suscitant l'empathie la plus inespérée, invitant délicatement à écouter un texte à la poésie tour à tour figurative et musicale jalonnant l'intégralité du métrage.
Blue n'est de ce point de vue pas tellement différent des autres créations jarmaniennes : expérimental en diable, sensible et empreint de culture gay et de mots crus que n'aurait point renié l'incontournable Jean Genet ledit métrage multiplie les résonances et les jeux d'échos au travers d'une prose éparse mais cohérente, galvanisée par une bande sonore carillonnante et réverbérante de bon aloi. Rendant visible l'invisible Derek Jarman ouvre le champ des possibles de l'imagination du spectateur, dépeignant un monde intime et introspectif tout vêtu de blessures et de mélancolie en demi-teinte.
Loin d'être un anti-film situationniste grossièrement conceptuel Blue s'avère être un chant du cygne élégiaque, entièrement représentatif de l'univers underground et subversif de Derek Jarman. 80 minutes de bleu donnant le sentiment de capter les veines infinitésimales du corps supplicié de son auteur-réalisateur à l'article du trépas. C'est beau et hypnotique tout à la fois.