It's a terrible thing to lose...
Boogie nights s'ouvre sur un morceau instrumental qui évoque une parade funèbre aux accents mélancoliques. C'est l'histoire du film, un rêve funeste, celui d'un jeune gars de la banlieue de LA (Eddie Adams – PTA) qui rêve de réussite à l'américaine et croit en sa bonne étoile. Anderson met en scène avec virtuosité une galerie de personnages loufoques, mais profondément humains, et il va puiser au fond de ces personnages, en leur laissant chacun leur moment d'expression grâce à l'écriture tentaculaire du récit ou dans la mise en scène où PTA va orchestrer des chorégraphies complexes au steady cam à l'image du magnifique plan séquence d'ouverture qui introduit les personnages.
Quand la caméra ne se ballade pas dans la villa de Jack (Burt Reynolds), dans les fêtes, où dans les studios de tournage elle porte son regard sur les visages ou des objet via des gros plans insérées de façon judicieuse dans le récit, grâce à une réalisation soignée, rythmée, parfois tape à l’œil mais toujours cohérente avec son sujet qui emprunte beaucoup à Scorcese (Goodfellas), de la même façon, ses personnages sont affranchis, ce sont des gens qui à une certaines époque ont décidé de vivre autrement. L'influence de Scorcese est perceptible également dans le montage vif qui donne la sensation euphorisante d'être constamment sous coke ou dans l'utilisation du travelling avant agressif, comme lorsque Eddie quitte le domicile familiale après une énième dispute avec sa mère pour retrouver sa nouvelle famille, son nouveau père (Jack) et sa nouvelle mère (Amber), transition effectuée par un fondu enchaîné passant de Jack à la mère d'Eddie l'attendant dans son fauteuil, la photo passant de la chaleur de la villa à la froideur bleutée du foyer. La dispute avec sa mère, scène chargée en émotion, est une scène clé dans la mesure où elle cristallise la dualité entre deux mondes, deux générations, qui ne se comprennent pas, celle de la mère qui vient d'un milieu conservateur et castrateur, et celle de Eddie qui n'aspire qu'à voler de ses propres ailes.
Jack ne sera pas seulement le père de substitution d'Eddie, rebaptisé Dirk, il est le parrain de cette grande famille que constitue son équipe de tournage composée de grands enfants qui aiment les costumes, les bolides rutilants, le karaté, et la magie..
Amber, de son coté, est la mère de « tous ceux en manque d'amour », à défaut de pouvoir être celle de son fils éloignée par son père constatant la réalité alternative dans laquelle elle vit.
Les personnages sont de grands enfants qui vivent dans une illusion, un monde doré (les seventies – le porno) qui va finir par s'écrouler. Le film se construit ainsi autour de plusieurs dualités, celle des années 70 aux années 80 symbolisant un basculement (dans l'industrie pornographique) qui mettra fins aux illusions des personnages – Little Bill acceptant de façon radicale l’échec de son mariage.
Les années 70 sont colorées, douces, chaleureuses, la musique y est pleine de vie et festive, c'est l'Age d'Or. Les années 80 en revanche, nous ramènent à la réalité, confrontant les personnages de façon brutale à des échecs multiples : Scotty et son amour impossible, Buck et son rêve d'entrepreneuriat, Amber et l'espoir de revoir son fils, Dirk et les progrès du cinéma X. En effet, la qualité de celui ci se dégradera avec le passage à la vidéo, illustré par le cupide Floyd Gondolli et sa quête frénétique de profit. C'est la fin d'une période bénie où les cinéastes étaient rois, et l'avènement du film de consommation, comme un écho à la chute du Nouvel Hollywood en 1980. Le cameraman exprimera cette idée en demandant un peu de « sensualité » à 2 actrices menottées se roulant des pelles nichons à l'air dans un jacuzzi. Si les films des années 70 sont gentiment kitchs et désuets, ceux des années 80 sont vulgaires et violents. Boogie nights c'est aussi une certaine idée du romantisme au travers le personnage de Burt Reynolds notamment qui observe avec tristesse la mutation.
Alors ils vont souffrir, tous, être mis à l'épreuve, être mis au pied du mur, mais à la fin, parce que Anderson les aimes profondément, ils leur offrira une porte de sortie, pas un happy end, mais une renaissance. Pas d'illusions ici non plus, ils vont continuer le porno (pour la plupart), repartir du bon pied, Amber se maquille, Rollergirl range sa chambre, et Dirk se prépare dans la loge. Hommage explicite à Scorcese, Eddie a cette fois perdu son innocence et sa timidité, pour redevenir la superstar en toc et paillettes qu'il était. Whalberg tient ici le rôle de sa vie, au delà de l'aspect physique de son jeu, il y a chez lui cet air juvénile, ce gosse avec ses rêves de voiture rouge, son karaté, sa timidité, qui en fait un rêveur. Son rêve se transformera en cauchemar, à cause de la coke, de l'évolution de l'industrie, mais surtout de ses sentiments, il ne supportera pas que sa famille, son monde, adopte une nouvelle recrue, alors il réagira de façon hystérique, en claquant la porte – encore une fois. Le regard que porte PTA sur ce monde et sur ses personnages, est un regard amusé, et souvent moqueur, mais empli de tendresse, cette famille hautement incestueuse qui fait du porno, unie par la figure paternelle et finalement par une certaine forme d'amour.
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