"Boudu sauvé des eaux" n'est pas, à mon avis, un film qu'on peut regarder comme ça. Il me parait nécessaire de se préparer mentalement à devoir transcender l'image et les personnages.

Si on y va franco, c'est le bide : "mais qu'est-ce que c'est que ce cabotin qui fait le con, le pique-assiette, le grossier et même le lubrique alors qu'on l'a sauvé de la noyade !". Dans l'échelle de SC, c'est le 1 assuré (on ne peut pas mettre plus bas …)

Si on se dit, bon, je n'ai pas aimé la dernière fois mais, comme c'est un classique, on va essayer de regarder ce Michel Simon comme on regarderait Laurel et Hardy ou encore Charlot. On a une chance de trouver que Boudu a quand même un petit côté marrant d'hédoniste comme le sera Monsieur Hulot d'une autre façon. On peut se marrer au premier degré des facéties de Boudu, son sans-gêne, son insolence à tous propos puisqu'en plus de profiter salement du gîte et du couvert sans vergogne, il n'hésite pas à se taper la femme de son sauveur. C'est marrant parfois avec des répliques savoureuses des différents protagonistes sans atteindre toutefois le burlesque des comiques cités plus haut. Dans le classement de SC, on pourrait dire que ça frise le 5…

Si, maintenant, on prend la vie bourgeoise en 1932 avec ses normes, sa morale, son hypocrisie et qu'on y met en face une liberté – perdue ? - à rechercher dans la nature, dans la musique, dans l'amour où on abandonne définitivement les codes, le confort, la dépendance à autrui ou à l'argent, on est (peut-être) face à un chef d'œuvre. C'est, dans l'échelle de SC, un 10 potentiel.

Si, ensuite, on fait une combinaison linéaire des trois façons de voir le film, on peut approcher les notes intermédiaires.

Pour ce qui me concerne, j'ai dépassé largement la phase 1, considère avec réserve la phase 2 et trouve pas mal de points intéressants dans la phase 3.

Par exemple, cette nonchalance générale dans la maison du libraire où, une fois que la porte qui donne sur l'extérieur est fermée et les rideaux tirés, tout deviendrait à peu près possible de l'observation indiscrète et lubrique du monde extérieur avec la lunette, à l'amour libre sans façon. Boudu n'ira-t-il pas cracher dans le roman de Balzac, "La physiologie du mariage " ? …

D'ailleurs, cette nonchalance annonce ce fameux film de Renoir "le déjeuner sur l'herbe" (1959) qui concrétise (et, malheureusement pour moi, politise beaucoup trop) l'amour libre et sans contrainte au sein d'une nature riche et mythologique (Cf ma chronique sur SC). Une preuve ? C'est la même flute un peu omniprésente dans "Boudu …" qui servira de transition (ou d'appel au réveil du faune = le bélier) dans "le déjeuner sur l'herbe". Et quand Boudu recouvrira sa liberté, il s'étendra dans un pré à proximité d'un troupeau de chèvres qui viennent naturellement à ses côtés … D'ailleurs, pour la parodie de mariage (encore des conventions) de Boudu, on découvre son prénom : Priape dont je me passerai peut-être de redéfinir ce dieu, fils de Dionysos et d'Aphrodite …

Un point intéressant que j'ai aimé relever et dont la portée est peut-être involontaire de la part de Renoir, c'est la foule qui s'entasse sur le pont pour observer Boudu se noyer dans la Seine. Les gens sont au spectacle et pas un ne se bouge pour sauver Boudu (aujourd'hui, il y aurait juste en plus les portables pour filmer et immortaliser). Quand j'entends dire que la société est devenue, aujourd'hui, indifférente au malheur des autres, eh bien je dirais qu'en 1932, ce n'était guère mieux …

Ce film est d'abord une prestation inoubliable de Michel Simon en homme épris de liberté, brut de fonderie dans son insolence et dans ses opérations de séduction, à la hussarde comme le montre Renoir au moment fatidique en bloquant la caméra sur la gravure du "clairon" …

Comme je le disais en introduction, c'est un film difficile à approcher, riche en symboles. Renoir, en définitive, nous rappelle que face à la vie en société, face à la civilisation, il reste l'option du retour à l'état originel, au sein de la nature. Celle qu'a choisi Boudu dont le film n'est qu'une parenthèse.

D'ailleurs Boudu ne répond-il pas à un client qu'il ne risque pas de trouver "les fleurs du mal" dans une librairie …

JeanG55
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Films de Jean RENOIR

Créée

le 25 nov. 2023

Critique lue 59 fois

9 j'aime

5 commentaires

JeanG55

Écrit par

Critique lue 59 fois

9
5

D'autres avis sur Boudu sauvé des eaux

Boudu sauvé des eaux
Zogarok
3

Un film crétin de son temps

Chez les critiques d'hier et cinéphiles avec un gros esprit critique d'aujourd'hui, on oublie pas de dévaloriser et diffamer Carné, aussi sûrement qu'on loue Renoir, ce malheureux génie incompris de...

le 2 mai 2015

10 j'aime

Boudu sauvé des eaux
JeanG55
8

Boudu sauvé des eaux

"Boudu sauvé des eaux" n'est pas, à mon avis, un film qu'on peut regarder comme ça. Il me parait nécessaire de se préparer mentalement à devoir transcender l'image et les personnages.Si on y va...

le 25 nov. 2023

9 j'aime

5

Boudu sauvé des eaux
KanedaShotaro
8

"Comme cet animal"

C'est cette phrase de Lestinguois en désignant Boudu qui résume le mieux le film. Boudu est un animal. Renoir le film comme tel. Un animal venu d'un monde différent qui pénétre dans un monde bourgois...

le 28 avr. 2013

8 j'aime

Du même critique

La Mort aux trousses
JeanG55
9

La mort aux trousses

"La Mort aux trousses", c'est le film mythique, aux nombreuses scènes cultissimes. C'est le film qu'on voit à 14 ou 15 ans au cinéma ou à la télé et dont on sort très impressionné : vingt ou quarante...

le 3 nov. 2021

23 j'aime

19

L'Aventure de Mme Muir
JeanG55
10

The Ghost and Mrs Muir

Au départ de cette aventure, il y a un roman écrit par la romancière R.A. Dick en 1945 "le Fantôme et Mrs Muir". Peu après, Mankiewicz s'empare du sujet pour en faire un film. Le film reste très...

le 23 avr. 2022

21 j'aime

8

125, rue Montmartre
JeanG55
8

Quel cirque !

1959 c'est l'année de "125 rue Montmartre" de Grangier mais aussi des "400 coups" du sieur Truffaut qui dégoisait tant et plus sur le cinéma à la Grangier dans les "Cahiers". En attendant, quelques...

le 13 nov. 2021

21 j'aime

5