Chez les critiques d'hier et cinéphiles avec un gros esprit critique d'aujourd'hui, on oublie pas de dévaloriser et diffamer Carné, aussi sûrement qu'on loue Renoir, ce malheureux génie incompris de ses contemporains. Si on s'en réfère à ce Boudu, ce n'est apparemment pas pour des raisons d'écriture, de dialogues et encore moins d'esprit ; les positionnements idéologiques suffisent. Car où est la richesse de Boudu sauvé des eaux, montagne de niaiserie aux audaces misérables, cependant passée à la postérité avec même un remake américain en 1986 ? Elle est manifestement dans son message social, avec sa transgression de pacotille (l'argument de l'époque ne tient pas, le point de vue est ridicule et il l'est en toutes circonstances) ; mais aussi dans les aspects techniques. La virtuosité de Jean Renoir est soutenue par une photo superbe (remastérisée par Pathé en 2014) ; nous sommes sept ans avant La règle du jeu (et cinq avant La Grande Illusion), il n'y a pas son génie de mise en scène mais la gestion des ressources est efficace, les décors bien choisis.


Premier mauvais constat criant : bien qu'ils soient censés être sympathiques en dépit d'une vague mise en exergue de leurs mœurs douteuses, comme dans toute comédie congruente ; tous les personnages sont pénibles, des variétés d'abrutis. Non que le film se moque d'eux et de leur caractère de façon subtile ; c'est justement la médiocrité de l'écriture qui en fait des protagonistes aussi aberrants. Les 'bonnes personnes' ne manquent pas de rappeler leur qualité de bienfaiteur et le bourgeois recueillant Boudu fait même savoir qu'il se prend un peu pour son père ; mais rien à ce sujet n'est pris en charge. On ne sait trop ce que pensent ou ce que sont les uns et les autres, à moins que tous ne soient effectivement que les coquilles mortes pressées à défiler, dignes des caricatures de Qu'est-ce qu'on a fait au bon Dieu, le panache en moins.


Pour que le film ait du sens, il faudrait tout faire, alors que des éléments riches sont à portée de main. Non ! Non, ce n'est pas aux spectateurs d'amener le principal. Boudu est au ras du bitume, il est malhonnête de lui prêter des vertus que son postulat recèle mais que lui-même est incapable de faire fructifier. Dans le contexte de son époque le film a bien une portée subversive et l'interprétation de Boudu a braqué un large public ; cette irruption lubrique dans des décors bourgeois était un scandale. Cependant l'absence de vision transparaissant du film (supposons donc qu'à la conception les intentions étaient fortes!) arrive à étouffer le jeu sensationnel de Michel Simon (coproducteur du film, qui a poussé Renoir à la mise en scène) ; sa dégaine comique naturelle et surtout insolite est sévèrement entamée. Lorsqu'il est présumé faire son numéro, Simon est assigné à un comportement de débile profond évadé d'un centre aéré pour adultes inaccomplis.


C'est une sorte de grand enfant débraillé et un peu trash ; parfois vaguement grivois. Et surtout c'est un sauvage, un ingrat, sans valeurs ; les gueux n'ont pas de vertus civilisées ! C'est pour ça que les bourgeois aiment leur en donner, comme à des animaux de compagnies divertissants et en besoin. Et puis ils ont d'autres vertus : ils sont si attachants, leur spontanéité et leur 'authenticité' fait tellement envie ! Cette ode à la liberté est signée par des bourgeois pathétiques, des petits conservateurs [mais] humanistes quasiment anémiés, soumis et sans relief, fantasmant sur l'échappée bohème. Aussi le film pourrait être parfaitement réactionnaire ou puriste de droite, en privant le clochard de toute rédemption ou dépassement possible, en le consacrant comme une merde inepte intrinsèque. Mais il n'y a pas plus de cynisme que de perception élaborée ou de choix conséquents ; si Boudu sauvé des eaux est cruel et limitatif, c'est comme peut l'être un petit communiant servile et soporifique, un peu gras éventuellement, voué à une existence de nabot rassasié, en train de contempler de loin un marginal, foutant en l'air les conventions futiles en sortant de table et se comportant comme s'il n'avait pas passé ''l'âge de raison'' (7 ans).


Ce film est simpliste, à la limite de la connerie ; et ça, quand il arrive à articuler quelque chose. Le niveau d'intelligence est à peine supérieur à celui de la mascotte. Boudu est proche du trisomique plein d'entrain quoiqu'acariâtre à ses heures ; parfois il essaie de se frayer avec les filles, jamais il n'est conscient de la gêne qu'il inspire ; on lui met de jolis costumes pour l'intégrer, ou au moins qu'il fasse un beau meuble. Mais ce film est trop insipide et inconscient, trop ronflant et moralement puceau pour aller raconter ce que tout ça veux dire. Ça taquine, ça grattouille gentiment, puis ça se veut émouvant et pessimiste à la fois, mais un pessimisme roudoudou, le pessimisme de gentil intégré (de notable modeste par exemple) le cerveau endormi sous ses rouflaquettes négligées. Par conséquent Boudu sauvé des eaux est bon principalement pour les enfants et leurs mamies, ou leurs papys éventuellement s'ils sont du genre Aznavour.


L'indigence est telle que le remake (Boudu par Jugnot) a des chances de surpasser l'original, même lorsqu'on connait son exécrable réputation ; car il y a tout de même Big Gégé dans le rôle du clochard ! Cela donne l'espoir d'un navet wannabee nanar sans envergure mais se crashant au moins de façon aimable. Car l'inanité de Boudu concerne aussi prosaïquement ses propriétés de 'comédie' : quel enfilage de gags bêtes et de démonstrations niaises, si bien accordées au reste ! Voilà un spectacle de semi demeurés d'une fadeur abyssale, sorti en 1932, fournissant un personnage emblématique grâce à un acteur d'exception et un bon ancrage initial. Minable, mais sans plus ; et surtout monumentalement stupide et puéril.


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Zogarok

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