Boulevard de la Mort: Quentin Tarantino's dream street

C'est en 2007 que Quentin Tarantino sort ce film qui divisa énormément ses fans mais qui, étrangement, fut couronné par la critique et considéré comme, probablement, le plus personnel du réalisateur... Cette polémique n'est pas encore éteinte aujourd'hui et je vais essayer d'apporter ma petite pierre à l'édifice...


Le scénario peut se résumer en deux phrases: à Austin, quatre amies partent faire une virée, s'arrêtent dans un bar où elles sont repérées par un cascadeur qui va utiliser sa voiture pour les tuer. Rebelote six mois après mais dans le Tennessee: quatre jeunes femmes, le cascadeur meurtrier dans sa voiture indestructible...mais cette fois-ci la fin sera différente: deux des filles étant eux-mêmes cascadeuses, elles vont lui échapper puis lui faire payer ses crimes...
En apparence ce scénario est bateau et sans intérêt autre que celui de voir le même film deux fois avec une fin différente... Mais c'est oublier que nous avons affaire à Quentin Tarantino: réalisateur ultra-intelligent, ultra-cultivé, qui va utiliser cette apparente simplicité pour délivrer un superbe message féministe tout en s'offrant tous les plaisirs possibles...et nous faire vivre un véritable orgasme cinématographique! Evoquons donc tous ces détails, tous ces bonheurs, que le film nous offre l'un après l'autre, du plus évident au plus fin...


-la voiture d'abord, et ce qui en découle... C'est en-effet la plus visible et la plus mémorable image de ce film: la Chevrolet Nova noire blindée du cascadeur tueur décorée d'une tête de mort. Image de la virilité et métaphore sexuelle évidente, cette voiture est sinon la raison du moins le symbole du film, avec son blindage qui protège de la mort...à condition de se trouver à la place du conducteur. Cette voiture est également un hommage au cinéma d'antan (dont je reparlerai plus bas...), à l'époque où les chutes se faisaient avec des professionnels et où les courses-poursuites étaient filmées sans trucage numérique. Tarantino respecte stricto-sensu cette règle, particulièrement dans l'archi-longue poursuite qui clôt le film et qui nous offre (avec une petite pause au milieu pour respirer) une montée d'adrénaline phénoménale dont on perçoit instinctivement "l'authenticité"...et pour cause! Car Kurt Russel, qui joue le personnage principal avec une conviction rare (et qui réussit à être successivement inquiétant, séduisant, puis odieux et enfin pitoyable...), est lui-même cascadeur, ainsi que Zoë Bell et Tracie Thoms qui, au volant d'une non-moins splendide Dodge Challenger, vont réussir à le tenir en échec... Ainsi, il n'est pas inutile de le dire et de le redire, les cascades de ce film sont réalisées sans doublages et sans trucages!.. Quel plus bel hommage à ces travailleurs de l'extrême que de leur faire interpréter des personnages ayant le même métier qu'eux...et ainsi (nous en reparlerons) de critiquer ce lieu commun qui voudrait en faire un métier exclusivement masculin?..


-l'hommage au cinéma. C'est la première image, la première scène, qui nous immerge dans cette thématique: nous voyons en-effet un plan et des décors qui n'auraient pas du tout dépareillé dans un film de série B des années '70 et toute la première partie se fera de la sorte avec une couleur douteuse, une pellicule rayée, parfois même des sautes d'image, et une caméra presque intrusive, en tout cas agressive vis à vis des filles présentées violemment comme des objets de désir... Et puis, au début de la deuxième partie, tchac! rupture totale et nous voici dans du noir et blanc, avant que d'un seul coup la couleur revienne. Mais cette fois-ci l'image est nette, "propre", les couleurs sont parfaitement "tranchées", il n'y a plus de rayures ni de saute d'image, et surtout les filles sont filmées avec une certaine distance, du moins avec un bien plus grand respect: on évite les plongées sur les poitrines ravageuses et les lapdances à faire devenir dingue le loup de Tex Avery. Cette scène (la lapdance, je précise...), qui se tient dans la première partie, est la plus sexuellement suggestive du film...et elle précède de très peu cette scène du meurtre où Tarantino, cédant à son péché mignon qui a fait sa réputation, montre en autant de ralentis la mort des quatre première héroïnes avec une violence extrême et sur-esthétisée. Cette violence, qui continue dans la deuxième partie et qui culmine lors de la toute dernière scène (celle où Mike se fait trucider à coups de pieds par les trois dernières héroïnes), associée à cette immersion symbolique dans les années '70, est un hommage explicite de Tarantino à son modèle Sam Peckinpah qui le premier a osé montrer la violence de façon aussi crue qu'épique. Boulevard de la Mort est donc, archi-clairement, un film de cinéphile pour cinéphiles. Mais il y a encore d'autres merveilles...


-la B.O.! Bien-sûr serait-on tenté de dire tant Quentin Tarantino la soigne dans chacun de ses films... Ici, l'ambiance des bars de l'Amérique profonde et la réalisation "à l'ancienne" lui donnent un prétexte idéal pour nous en mettre plein les oreilles (particulièrement dans la première partie où nous pouvons noter la tendresse portée au juke-box dont l'image revient un nombre incalculable de fois). Qui plus est, plusieurs de ces musiques ("The last race", "Paranoia prima", "It's so easy" pour en citer quelques unes) sont tirées d'anciens films ce qui accentue l'hommage de celui-ci au cinéma en général. Conclure le tout sur"Chick habit" (version anglaise du "Laisse tomber les filles" de France Gall) a parachevé mon bonheur auditif: quel pied, nom de dieu! quel pied!..


-en parlant de pieds justement!.. Tarantino n'a jamais caché son attirance pour cette partie particulière du corps féminin, et dans ce film il l'assume encore plus totalement que dans les autres. Les images des splendides pieds de Sydney Tamilia Poitier fleurissent dans la première partie...mais, comme toujours, Tarantino va bien plus loin que le simple plaisir esthétique: déjà, avec beaucoup d'ironie, ces pieds-là sont la première partie des corps qu'on voit déchiquetée dans la scène du meurtre; mais c'est encore dans la deuxième partie que le génial réalisateur va réellement "dévoiler ses batteries". Pour commencer la scène en noir et blanc, qui est la plus sensuelle du film, met en vedettes, avec un "désir" et une passion que le noir et blanc rend remarquablement pudique, les pieds proprement merveilleux de Rosario Dawson; mais ce personnage, derrière cette sensualité et cette beauté ahurissantes, va rapidement faire montre de distance, de réflexion, de méfiance...et enfin d'une force de caractère et d'un courage qui la feront devenir passagère de ses amies cascadeuses sans jamais jouer les poules mouillées!.. Et c'est à coups de pieds que Mike sera finalement tué, coups que lui donneront, dans une frénésie vengeresse, les trois héroïnes, avec en point d'orgue un superbe effet de miroir retourné: c'est Abernathy (le personnage joué par Rosario Dawson) qui lui donnera le dernier coup de pied mortel en plein visage, ce pied avec lequel Mike s'était amusé quelques minutes auparavant...


-en évoquant tout cela, j'ai pas mal abordé le message féministe de ce film pas comme les autres. Disons-en quelques mots car c'est là qu'est son plus grand génie selon moi... Car si on a l'impression de voir le même film deux fois avec juste un changement d'héroïnes et d'esthétique, cette impression ne résiste pas à un visionnage un tantinet "poussé". J'ai déjà évoqué le rôle de la caméra et le fait que le deuxième groupe est filmé de façon beaucoup plus "distanciée" et respectueuse, mais ce fait n'arrive pas comme un cheveu sur la soupe: il n'est que la conséquence que les deux groupes que nous voyons sont différents, très différents même... En-effet, les filles composant le premier sont toutes des bimbos "pulpeuses" au physique tel qu'on le rêvait dans les années '70 (et comme on continue de le rêver dans bien des coins du monde en général, de l'Amérique profonde en particulier [ce n'est pas pour rien si la première intrigue se passe au Texas...]) uniquement préoccupées par les garçons et qui n'ont pour armes que leur sex-apeal et, avouons-le, pas grand-chose dans le ciboulot (même si Arlene [Vanessa Ferlito] se méfie instinctivement de Mike, ça ne l'empêchera pas de céder à son étrange charme et de lui faire sa fameuse lapdance évoquée plus haut...). Des filles caricaturales des victimes des films d'horreur d'antan...mais précisément des images du passé, sans vraie personnalité marquée. Or, dans la deuxième partie, ça change radicalement! certes les filles parlent toujours de leur vie intime et sont indéniablement belles, mais leur physique est d'emblée plus "marqué", et surtout leurs conversations, qui montrent leur indépendance (elles ne vivent clairement pas à-travers les mecs), semblent bien plus réalistes et abordent des sujets bien plus profonds (dont la capacité physique à se défendre en cas d'agression...). Ces filles sont "modernes", elles peuvent bien sûr utiliser leur charme (ce que Lee [Mary Elisabeth Winstead] ne se prive pas de faire pour permettre à ses copines de faire diversion et d'aller s'amuser en voiture), mais elles sont, physiquement et mentalement, assez fortes pour se débrouiller, savent manier une bagnole aussi bien qu'un mec et même mieux vu qu'elles réussissent à le vaincre, aiment l'adrénaline et le risque, bref: elles sont les égales des hommes et peuvent se mesurer à eux dans absolument TOUTES les situations (d'où le fait d'utiliser un engin aussi "viril" que la voiture pour bien souligner le propos). Comment ne pas y voir un coup de poing sur la table de la part de Tarantino (qui a toujours mis les femmes "fortes" à l'honneur dans ses films) contre les préjugés subsistant encore dans la société américaine dont le cinéma est souvent un bon miroir?.. Ici le message est clair: "messieurs, les femmes sont vos égales en tout et si vous vous amusez avec elles le retour du boomerang sera violent!" et de même "mesdames, vous valez autant que les hommes, alors arrêtez de vous comporter comme des soubrettes dociles!.."


Pour ces diverses et géniales inspirations, pour son esthétique hors du commun, pour son féminisme, pour sa musique, en fait pour tout ce qui fait que j'aime le cinéma (fond ET forme), Boulevard de la Mort est un film dantesque qui procure un plaisir continuel de la première à la dernière image. Un pur orgasme cinématographique!..

Sudena
9
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le 21 mai 2017

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Sudena

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