Quentin Tarantino est un réalisateur que j'adore. J'aime son style, j'aime ses dialogues même quand ils sont longs, j'ai adoré Inglourious Basterds. Il n'y a en fait que 2 films de lui que j'ai moins apprécié que les autres : Jackie Brown (trop long au milieu) et surtout celui là. Quand Tarantino refait son cocktail en abusant de certains de ses ingrédients, il n'a plus de place pour d'autres : il a mis tous les fonds de tiroir de ce qu'il avait utilisé dans les précédents, il a ajouté ses colorants pour donner une mixture tape-à-l'oeil encourageante, il l'a parfumé pour lui donner une allure enivrante qui donne envie de se laisser porter et il a balancé plein de trucs qui ressemblent à de belles fraises Tagadas ou à de la crème chantilly, sauf qu'en fait ce sont des figurines en plastique, ça ne se mange pas. Alors on boit ce qu'il reste, mais le colorant n'accompagne pas la boisson, il la remplace. Et tout seul c'est pas très bon en fait, même si on a envie de se persuader du contraire tant sa simple vue nous met de bonne humeur.


Qu'est-ce qu'on fait dans ce film ? On suit un groupe de filles délurées qui font une virée dans un bar et qui discutent entre copines. Que ce soit dans leur voiture ou dans le bar en question, on s'y sent tout de suite chez soi. La caméra est au plus près des personnages sans virer dans l'intime (à quelques plans moins classes près), c'est richement décoré avec beaucoup de personnalité et les filles ont une manière très naturelle et entraînante de parler. On sent leur complicité, on sent qu'elles sont naturelles et qu'elles s'amusent et le décor donne envie de faire le voyage et se poser avec elles, comme si on buvait un coup avec des potes. En l'état leurs discussions sont du même niveau que pour n'importe qui et c'est bien là le problème : même si c'est très bien écrit et très bien joué, les dialogues ne sont en fait pas vraiment intéressants ou fun. On suit la discussion, on ne s'embête pas trop parce que les filles ont la pêche, mais on n'en retient rien. Enfin si, ça parle de mecs volages, de lapdance, de câlins, de poireaux à vider, d'anecdotes sur l'une ou l'autre. Pas des trucs amusants comme dans Pulp Fiction, aucun enjeu comme dans Inglourious Basterds où les digressions sont encore plus présentes mais utilisées pour instaurer le suspense (la scène d'ouverture). Elles parlent pour parler. Parfois ça permet de glisser un élément qui sera réutilisé plus tard et c'est là que Tarantino est fort : on ne sait jamais si un élément anodin est un indice pour deviner la suite car il sera systématiquement noyé sous une montagne de remarques qui, elles, seront sans répercussion scénaristique. Contrairement à d'autres polars où chaque déclaration est présente uniquement pour justifier une scène à venir, rendant la démarche prévisible. Pas avec Tarantino.


L'inconvénient, c'est que le film est vide et s'attarde sur des éléments qui ont peu d'importance. Le magazine à 27 $ que les filles veulent acheter ? On en parle 5 mn puis plus rien, et ces 5 mn n'ont rien apporté à part à nous montrer que Tarantino sait mettre en valeur notre société de consommation, au point d'en faire une imagerie pop et cool (ce qui n'est pas nécessairement un mal, moi-même j'apprécie beaucoup cette esthétique). Le film n'a que très peu d'histoire, elle sert juste de prétexte pour que Tarantino se regarde filmer et se regarde écrire. Il veut filmer les bars, il veut filmer des routes poussiéreuses et des bolides, il veut filmer des produits de consommation, il veut filmer des nanas qui s'éclatent. Il veut signaler qu'il y a des films qu'il adore, dire le bien qu'il pense des cascadeurs, dire que les effets numériques abusifs ne valent pas le réel, il veut voir ses pieds féminins quitte à en faire vraiment des caisses pour ce coup-ci, il veut voir sa cascadeuse Zoë Bell jouer son propre rôle. Il veut mettre un effet de bobine abîmée pour jouer sur le côté grindhouse, quitte à mettre de fausses micro-coupures pour que ça fasse plus vrai. Il veut mettre des mini ellipses faussement involontaires à des moments cruciaux pour la blague, mais ça expédie des scènes qui, pour une fois, méritaient qu'on s'y attarde un peu plus pour la tension. Il veut filmer pour filmer, comme quand on présente un carnet de voyage et qu'on met des annotations sur ce qu'on a aimé. Pour lui et ses potes ça doit être cool, pour les autres moins. C'est comme certains Let's Play, l'intérêt repose uniquement sur la sympathie de personnes que l'on décidera de prendre pour amis virtuels à sens unique. Puisque eux ne peuvent pas discuter avec nous, il ne se disputeront jamais avec nous et nous intégrerons tout de suite dans leur bande par défaut, nous offrant ainsi la possibilité d'avoir des potes de substitution, faute d'en avoir en vrai. A ce jeu là, Boulevard de la Mort est un bon Let's Play. Mais rien de plus, et pour moi ce n'est pas suffisant sinon je suivrai peut-être PewDiePie.


Ah, je suppose que vous allez me rétorquer qu'il y a quand même une histoire de cascadeur tueur. Il aurait pu rendre l'ensemble intéressant s'il avait été plus exploité. Il y a la grande gueule cassée de Kurt Russel qui fait un job monstre, il a un charisme gros comme ça. On a envie de l'écouter, de le suivre, il est sympa. Lui aussi ce serait un bon let's player, sauf que Tarantino a dit que c'était un tueur cinglé. Et je trouve que ça ne lui va pas dans ce film là, il est trop bonhomme pour être terrifiant. Je n'arrive pas à le voir en méchant, ni en "gentil voisin qui a en fait des pulsions violentes que personne ne lui soupçonnerait". Sa voiture par contre, elle a carrément le potentiel pour constituer un méchant à sa place. En la filmant à la manière d'un Spielberg elle pourrait constituer un personnage à part entière, la vraie menace du film. Il y a quelques effets qui vont dans ce sens, mais ils sont trop peu nombreux pour concrétiser le personnage. On dirait qu'ils sont là plus pour faire référence aux slashers que pour en faire un vrai. Du coup cette voiture finit par ne plus représenter qu'un fantasme d'amateur de bolides et de road-movie, et non un monstre mécanique impitoyable. En plus la caméra préfère nous montrer Kurt Russel, et il a du mal à donner une image effrayante de lui. Même la musique ne tente pas de faire monter la pression (à quelques exceptions près), soit elle s'efface soit elle joue sur les registres pop même dans les poursuites, ce qui casse un peu la tension quand même. Je comprends mal pourquoi Tarantino parlait de slasher en évoquant ce film, il ne contient que deux scènes de ce genre (qui sont extrêmement bien faites d'ailleurs, mais trop tardives) et elles ne sont pas forcément longues, à part la dernière qui fait office de finale. Diluées dans un amas de discussions oiseuses, ces passages ne sont pas représentatifs du film. Ce sont des fulgurances, les trucs qui relancent subitement l'intérêt. Des moments où Tarantino arrête de faire son carnet de voyage pour faire un film. Mais c'est trop court pour rattraper le reste. Boulevard de la Mort est un magnifique emballage pour un cadeau tout petit. Un podcast où l'animateur tape la discut' avec le spectateur, mais à la télé.

thetchaff
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le 14 nov. 2014

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