Avant tout, je dois vous dire que ma scolarité en anglais se résume ainsi: oreilles fermées aux cours, yeux grands ouverts sur les appâts des professeures successives. Résultat: "It's a boy, it's a toy", puis le noir complet. C'est dire que mon regard présent sur ce chef-d'oeuvre de Lean vu en VO non sous-titrée est nécessairement lourd du poids de ces exactions passées.
J'ai compris qu'elle était mariée. Lui, un autre homme que son mari, est médecin, et il lui retire quelque chose dans l'oeil. A partir de là, ils se voient dans différents endroits, en catimini (l'étymologie de ce dernier mot vous surprendrait). Ici, j'ouvre une parenthèse. Avec ma petite comprenette, je me suis tout de suite dit: là on me refait le coup de "Sur la route de Madison". Or, s'il y a un film déplaisant pour moi, c'est cette route. Elle, semblant s'être gavée de pommes de terre depuis "Out of Africa" pour se consoler de la disparition de Robert Redford, lui, le regard mauvais de "Unforgivable", navet archi-violent après lequel j'ai renoncé au cinéma pendant dix ans, et ça, je ne le lui pardonnerai jamais. Un ami à moi, géant d'environ deux mètres, a les yeux humides quand il évoque la route de Madison, et cela me donne envie de me hisser sur un tabouret pour lui allonger les oreilles.Je ne sais même pas si le mari revient, et dans quelles dispositions: je ne veux pas le savoir.
Enfin, très belle scène finale, et par une sorte de miracle, j'ai compris les paroles. Le mari la prend dans ses bras et la remercie d'être revenue à lui. Donc on comprend qu'il avait tout compris et serrait bravement les dents en lisant son journal.
Sinon, la construction est simple: on est soit au foyer, soit dans un café où il y a de la rigolade avec la serveuse revêche, ce qui fait contraste de ton avec les catimini dramatiques, ou bien alors ils prennent le train. A un moment, elle vient chez lui, ce qui montre à quel point elle est emportée par la passion: survient alors un tiers qui voit son écharpe alors qu'elle s'est cachée dans la salle de bains. Prière à un(e) anglophone de me résumer la conversation entre les deux hommes, qui a l'air un peu tendue.
L'intérêt essentiel du film pour moi réside dans les cadrages et dans la lumière, ici un usage d'un raffinement extrême du noir et blanc. On la voit ainsi marcher, côte à côte avec lui sur un trottoir alors que son visage est découpé par la lumière dont une partie reste à l'ombre.
Au risque de choquer ses fanatiques parmi vous, le cinéma de Lean me paraît constituer une oeuvre de portée limitée. Il n'est pas enlevé par une vision vraiment originale, et j'ai essayé de suggérer ici qu'il peine à organiser son scénario. Mais il reste un maître incomparable de la caméra,et je dirai que c'est un peintre cinématographique, qui utilise magnifiquement l'eau-forte dans ce film.
Je vous propose pour conclure une très belle scène, où l'inévitable cigarette entre en action.
https://youtu.be/aKwYWBtxxwQ?t=4089

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le 20 nov. 2015

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