Avec ce premier long-métrage (couronné par le prix spécial du Jury de Sundance 2005), le futur réalisateur de Looper s'est octroyé d'excellentes critiques, et a pu démarrer une carrière éclatante. Bien que peu fournie, elle est suffisamment qualitative pour que George Lucas et les studios Disney lui confient la réalisation de Star Wars VIII. En-dehors de ses propres films, Rian Johnson s'est illustré comme directeur de trois épisodes de Breaking Bad (dont un gros défi - La mouche, 3.10) et en tant que monteur de May, stupéfiant portrait d'une jeune femme exclue du monde commun. Pour Brick, il met à profit un petit budget (450.000$) en faisant la démonstration d'un talent formel éblouissant. La star de Mysterious Skin (Joseph Gordon-Levitt) déambule dans un roman-photo entre mélo lynchéen, polar langoureux et stoner-movie avec faux riches asociaux.


Johnson a voulu mettre au point un « film noir » et fait référence au Faucon Maltais, une des mascottes de ce genre à son zénith dans les années 1950. Dans Brick, le film noir se déploie en dépit de paramètres étrangers à son essence : le contexte relève plutôt du teen-movie. Dans un premier temps, le rendu est plutôt déstabilisant ; sensation encouragée par l'opacité et la fébrilité apparente du récit. Progressivement Brick dévoile le nerf de la guerre et surtout exprime ouvertement son décalage, sans ses minauderies et punchline pénibles. L'exercice de sublimation relativement vain montre ses intentions et ses principes ; la réalisation reste d'une maîtrise éblouissante, les démêlées liées à 'l'enquête' énergisent la séance – les affaires sont plus fiévreuses que les portraits et les 'sentiments' purs, figés dans leurs vignettes hagiographiques (dont font partie les femmes fatales). L'originalité de la démarche et le raffinement du style se nourrissent de motifs caricaturaux ; le travail de Johnson consiste à les transfigurer, changer leur place mais aussi parfois leurs formes.


Le spectateur est maintenu dans un état de flottement et découvre des ados illuminés à la place d'adultes revenus de tout. Lukas Haas (le jeune crétin dans Mars Attacks) en mafieux apporte un cachet extrêmement bizarre : à ce moment Brick amène une fibre 'amateure' complète (par l'idée et les costumes) dans un champ planant bien au-dessus. C'est comme concevoir un tableau de maître et introduire en son cœur une grenouille cheap. Les angles morts sont nombreux, mais identifiés par Johnson. Brick entretient un certain flou et soigne sa surface, maniérée et déroutante, ostensiblement ancrée dans un passé irréel – Johnson a tourné dans sa ville et son lycée d'origine, les téléphones portables n'existent pas. La séance peut être inconfortable, le manque de matière plus que sa distance apparente (scénario light et étrange) peuvent frustrer. Sinon on se plaira à suivre Gordon-Levitt le malin génie en agent secret pris entre plusieurs feux, au sein d'un monde codifié, entre références privées insondables et reformulations audacieuses.


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le 4 sept. 2015

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