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Brisby et le Secret de NIMH
7.5
Brisby et le Secret de NIMH

Long-métrage d'animation de Don Bluth (1982)

Avant toute chose, je tiens à préciser qu'il est rare qu'un film de Don Bluth me déplaise. Ils sont d'une grande diversité : à première vue il est assez difficile de trouver un caractère commun entre Le Petit dinosaure et la vallée des merveilles et Anastasia. Pourtant, il y a toujours un petit truc en plus qui fait qu'on reconnait la patte du réalisateur, un aspect atypique qui fait que l’histoire est classique sans être classique. C’est toujours très dur de mettre le doigt sur ce que c’est, mais c’est toujours là. Pour le meilleur, dans la plupart des cas. Mais pas dans le cas de Brisby.
Brisby est une histoire de souris habillées et anthropomorphisées vivant dans un monde d’humains et devant survivre à la fâcheuse manie de ceux-ci de modifier leur environnement pour qu’il soit plus adapté à leurs besoins qu’à ceux de leurs voisins à plumes et à poils. Il y a des tas d’histoires de ce genre. Le truc atypique en plus ajouté par Don Bluth (ou plutôt, repris du roman d’origine que je n’ai pas lu – encore fallait-il en avoir l’idée, et c’est une idée typique de Don Bluth), c’est que, cette fois, le fait que les souris soient habillées et anthropomorphisées est justifié scénaristiquement. En fait, plusieurs rats et deux souris ont été modifiés génétiquement par les chercheurs humains pour devenir plus intelligents, se sont échappés du laboratoire et ont rejoint la nature où, je suppose, ils ont éduqué les autres animaux à s'habiller et avoir une civilisation.
Et ce parti pris, qui faisait de cette histoire de souris anthropomorphisées l'histoire de souris anthropomorphisées "à la Don Bluth" me pose plusieurs problèmes.
Déjà, pour commencer, cette histoire d'intelligence due aux modifications génétiques n'est pas claire du tout.
De deux choses l'une.
Soit il n'est pas normal, dans cet univers, que des souris parlent et s'habillent, sauf quand elles ont été génétiquement modifiées, et dans ce cas, les autres souris, celles qui n'ont pas été génétiquement modifiées, ne devraient pas être capables de parler ou de s'habiller, du moins pas plus que les chimpanzé qu'on éduque pour adopter le comportement humain et parler le langage des signes. Or, l'histoire nous est racontée du point de vue de souris ordinaires, qui sont parfaitement capables de s'habiller, d’utiliser des ustensiles ou tenir des conversations.
Soit il est parfaitement normal, dans cet univers, que des souris parlent et s'habillent, même sans avoir été génétiquement modifiées. Dans ce cas, qu'est-ce qu'elles ont de particulier, les souris qui ont été modifiées (à part des pouvoirs magiques) ? Quand on les compare à l'héroïne et ses pairs, ce qu'on constate, c'est que c'est souris et ces rats ont surtout des CONNAISSANCES que l'héroïne et ses pairs n'ont pas : connaissance de l'écriture, connaissance de l'électronique, connaissance de la mécanique. Il ne s'agit déjà plus d'intelligence, de quelque chose d'inné, dépendant des gènes, et pouvant être l'effet d'une modification génétique. Il s'agit de tout un savoir acquis brusquement, par injections, et réinvesti ensuite dans la construction de leur société de rongeurs. Sauf que s'il ne s'agissait que de savoir, ce savoir pourrait être enseigné. Or les souris normales, on le voit via l'héroïne, ont toujours autant de mal à apprendre à lire, ou à comprendre comment on sectionne le fil d'une batterie sans s'électrocuter. Certes, il est beaucoup plus difficile d’apprendre à lire à un adulte qu’à un enfant, mais quand même. Et puis, on n'a pas non plus le sentiment que les rats savants sont très partageurs, ils ont l'air de préférer le garder pour eux, leur savoir, mais on y reviendra. Toujours est-il que le film essaye de mettre de l'emphase sur le fait que ces rats, et les deux souris qui ont été modifiées en même temps qu'eux, sont des animaux exceptionnels, dont le refus de se mêler aux autres animaux et de vivre normalement parmi eux est légitime, et qui, s'ils décident de quitter leur communauté d'animaux intelligent pour vivre parmi les animaux normaux, doivent cacher à leurs proches, leurs enfants et leurs femmes, qui ils sont réellement et ce qu'ils ont vécu d'important dans leur vie. Il est souligné que l'héroïne n'accèdera pas, même avec des efforts, au savoir de feu son mari. Pour l'apprendre, il faudrait avoir subi les modifications génétiques, ou les avoir héritées, comme c'est le cas de ses enfants. C'est donc bien quelque chose d'inné, d'intrinsèque, qui donne à ces rats la maitrise de la technologie. Et j'ai beau savoir que c'est de la fiction, qu'on peut se payer le luxe d'être irréaliste, j'ai du mal à suivre l'histoire, à partir de ce stade. Ce n'est pas logique : on est dans un entre-deux qui, je trouve, n’a pas beaucoup de sens. A titre de comparaison, on n’est pas dans cet entre-deux dans Le fabuleux Maurice et ses rongeurs savants, de Terry Pratchett. D’ailleurs, à ce propos, l’autre grosse différence du roman de Pratchett, c’est que les personnages qu’on suit sont les animaux modifiés. Pour le lecteur, qui est un humain, la norme, c’est l’Homme. Si on suit les animaux modifiés, on suit des personnages raisonnablement intelligents. Si on suit les animaux normaux, on suit des personnages qui font figure d’idiots. Et, même si la différence entre les souris modifiées et non modifiées me parait trop faible pour la crédibilité de l’ensemble, l’héroïne, du fait de sa normalité pour une souris, est quand même bien nunuche, et c’est un peu difficile de s’identifier.
En outre, le fait qu'on qualifie la culture et la connaissance d'intelligence m'a toujours exaspérée, ça permet en général à de parfaits crétins de passer pour intelligents parce qu'ils ont un savoir encyclopédique. Passons.
Sur le plan du scénario, ce parti pris continue à me déranger. Ce n'est pas le destin d'une de ces souris améliorées, que nous suivons, c'est celui, tragique, d'une souris normale, tellement normale qu'elle n'a même pas de prénom, feu son mari n'ayant jamais daigné lui en donner un (c'était vraiment un gars charmant ironie) et ne découvre l'existence des rats intelligents que pour mieux mesurer à quel point son mariage était une mascarade, à quel point son mari était un étranger qui ne lui avait jamais rien raconté de lui, alors même que le monde entier en savait plus sur lui que elle, sa femme, celle à qui il a choisi de faire des enfants. D'ailleurs, les enfants, parlons-en des enfants ! Ils ont hérité de la supra-connaissance de leur père. Ils font partie de ce surmonde auquel l'héroïne n'a pas accès. Même ses enfants sont séparés d'elle par une distance qu'elle ne pourra jamais franchir.
Le film pourrait mettre fin à cette tragédie en démontrant que si, les connaissances des rats de NIMH peuvent être transmise, c'est juste eux qui sont des connards d'égocentriques qui se prennent trop pour des dieux maintenant qu'ils ont la technologie, tu peux pas test, que l'héroïne peut, si elle s'en montre digne, faire partie de ce monde, et partager le monde de son mari après sa mort, à défaut de l'avoir partagé avec lui de son vivant. Mais non. Comme on l'a dit, la volonté des rats de NIMH d'être à part est montrée comme juste. D'ailleurs, l'enjeu de l'intrigue est de les aider à partir quelque part où ils n'auront plus à se mêler à ces animaux trop ordinaires qui les entoure. Bon, l'objectif est surtout d'être quelque part où les hommes ne les retrouvent plus, mais ça ne change rien à mon propos.
On attend pendant tout le film le moment ou l'héroïne va prouver qu'elle est aussi digne d'estime et d'amitié que l'était son mari, toute souris ordinaire qu'elle puisse être. On attend que le médaillon qu'on lui donne pour... Hum... La féliciter d'avoir été la femme de quelqu'un de bien, je suppose, elle prouvera par ses actions qu'elle en est digne indépendamment de qui a été son mari. Que si son mari a choisi de vivre avec elle plutôt qu'avec ses amis rats savants, c'est parce qu'elle le méritait. Elle se donne bien du mal, pour ça. Elle va même se porter volontaire pour une mission suicide, sans considération pour ses enfants qui sont déjà orphelins de père. Mais rien à faire. Non, le deus ex machina de la fin, soit disant du au fait que l'héroïne a "une âme courageuse" ne compte pas. Ca ne compte pas, parce que ça ne change rien à la situation établie. Les rats de NIMH partiront, leur savoir avec eux, ils ne l'emmèneront pas, ni elle, ni sa famille, et l'héroïne se retrouvera, à la fin du film, plus seule que jamais, toujours veuve, mais consciente, cette fois, que son mari n'était pas celui qu'elle croyait, et que les souvenirs qu'elle peut avoir de son mariage sont illusoires, que ces enfants devront partir un jour pour rejoindre les rats, puisque, n'étant pas des souris normales comme leur mère, c'est avec les rats qu'ils doivent vivre. C'est une fin déprimante, triste, sinistre.
Et en parlant d'être sinistre, la narration ne fait aucun mystère du fait que, injecter un sérum qui rend intelligent à des souris, c'est méchant. Plus exactement, la motivation qui est derrière, qui est, je cite "satisfaire une certaine curiosité scientifique" est mauvaise.
Et ok, pour le scénario, il est nécessaire que les savants soient méchants. Mais par cette formule, le film se veut réaliste. Les savants fous de fiction sont généralement surtout fous. Quand on veut mettre l’accent sur le fait que leurs expériences sont « innommables », on se débrouille pour que même leurs buts soient dévoyés par rapport aux objectifs normaux des sciences. En ne le faisant pas, non seulement Brisby et le secret de NIMH prend parti contre une profession plutôt que contre la cruauté (or un film de cette naïveté ne devrait peut-être pas se payer le luxe de parler de choses moins générales que la cruauté), mais en plus elle le fait en mettant en scène une institution qui existe (Le NIMH, National Institute of Mental Health, qui comme tous les institut du NIH fait des recherches contre les maladies, en plus de chercher à « satisfaire une certaine curiosité scientifique ») qui se livre à une pratique qui n’existe pas (les animaux de laboratoire sont dans l’immense majorité des cas issus de lignées élevées dans des laboratoires et non pas des animaux errants chassés dans la nature), ce qui est d’autant plus fâcheux que beaucoup de gens pensent que c’est bien comme ça que les laboratoires se procurent leurs animaux.
Et quand bien même, pourquoi faire de leur désir de savoir la preuve de leur méchanceté ? Pourquoi serait-il mauvais d'acquérir du savoir ? De le transmettre ? Ca les arrange quand même bien, les rats de NIMH, de savoir comment utiliser l'électricité. Et s'ils ne le savaient pas, ils ne pourraient pas sauver les enfants de l'héroïne. Alors pourquoi, dans un scénario où le savoir est la solution à tous les problèmes, en faire également, sans développement ni débat, la preuve incontestable d'une mauvaise intention ? Parce que la science infuse, c’est mieux que de faire des expériences ? Même les chercheurs en sont convaincus.
Et même en essayant de ne pas prendre garde à ces messages involontairement et maladroitement véhiculés par le scénario, ça continue à être dérangeant. Toute cette histoire est développée autour d'une esthétique scientifique. Comme on a dit, les faits scientifiques rapportés ne sont pas forcément exacts ou crédibles, mais l'esthétique est là, cette histoire est sur la science. Alors pourquoi, d'un seul, coup, sans transition, y mettre de la magie, de la magie qui sort de nulle part (et qui selon Wikipédia n’est même pas dans le roman), de la magie qui n'est même pas là pour être "l'esprit de la nature qui s'oppose à la science des hommes" ? Juste de la magie, bim, d'un seul coup, sans transition, sans explication, et sans développement, comme tout le reste.
Bref, en un mot comme en cent, Brisby et le secret de NIMH m'a dérangée et je n'ai pas aimé. Mais non, ça ne veut pas dire que je renie Don Bluth. Même Victor Hugo a écrit de mauvais livres, ce n'est pas ça qui l'empêche d'en avoir écrit de bons, ni d'être, dans l'absolu, un grand écrivain. Ce n'est pas parce qu'on aime un auteur qu'on est tenu d'apprécier tout ce qu'il fait. Il peut y avoir une œuvre qui n'était pas comme les autres, une œuvre qui ne correspondait pas à ce qu'on attendait. Ca ne change rien à ce qu'on a trouvé dans toutes les autres.

tchoucky
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le 20 nov. 2016

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