Je ne sais que penser de ce film. Je suis partagé entre la fascination pour le dispositif de mise en scène ascétique ainsi que la force de ce personnage qui impressionne autant qu'il effraye, et le dégoût pour ce voyeurisme abject qui entend faire de l'horreur le principe même d'un cinéma soi disant percutant.


Je lis avec beaucoup d'attention les arguments des uns et des autres sur la nécessité de démontrer par la force de l'image ce basculement dans un transcendement quasiment messianique, mais je me situe pour ma part a l'opposé total de cette rhétorique. Rien ne justifie cette scène écœurante de décapitation qui ne nous épargne absolument rien et l'amplifie encore plus par sa mise en scène ainsi que par son bruitage exagéré.


On a beau avoir été préparé par ce qui précède, ce qui suit dénature au contraire toute la suggestion qui permettait de saisir la complexité quasi messianique de ce personnage. La quasi totalité du film se situe à la frontière du hors champs et du discours théorique/théologique sur ce qui pourrait engendrer cette psychose, pourquoi vouloir a tout prix le démontrer par l'image sensationnelle? C'est d'autant plus dommageable que l'acteur est impressionnant et arrive à effrayer par sa seule présence, sa démarche lancinante étant l'expression de son débordement mortifere.


Trouvé cette critique sur FB que je trouve fort intéressante et sur laquelle je me suis appuie pour construire la mienne en opposition. Je partage certains de ses arguments, mais la fascination pour cette radicalite que je retrouve chez beaucoup de ceux qui défendent ce film et plus généralement ce genre de cinéma (je pense a un film ukrainien sur les sourds et muets sélectionné a Cannes et sorti il ya quelques années par exemple, The Tribe ou un non de ce genre) me met vraiment mal à l'aise
« BRUNO REIDAL, Confessions d’un meurtrier » de Vincent Le Port avec Dimitri Doré


Le 1er septembre 1905, dans le Cantal, Bruno Reidal, jeune paysan séminariste de 17 ans, s'accuse du meurtre d’un enfant de 12 ans, François, dans la forêt de Raulhac. Le Meurtre est atroce.
En prison, pour tenter de comprendre son geste, le professeur Alexandre Lacassagne, l’un des fondateurs de l’anthropologie criminelle et deux autres médecins, lui font raconter sa vie.


Le film est très froid, l’époque est reconstituée de manière naturaliste, en lien avec les restitutions intellectualisées du meurtrier. L’image que nous voyons à l’écran, alterne entre les entretiens et la trame de son récit. Aussi loin que remontent ses premiers souvenirs, c’est toute sa vie qu’il livre crument aux trois adultes, de manière analytique et complètement dépassionné.


L’ambiance familiale est rude, sans joie ni affection. Les scènes marquantes de la vie de Bruno se déroulent sous nos yeux, spectateurs voyeurs de tout ce qui va constituer sa jeune personne - un abus sexuel dans un champs par un vieux berger de passage, l’égorgement du cochon à la ferme et les rituels du partage des bons morceaux juste après la mort de l’animal, le décès trop précoce d’un père aimé, la confession des pulsions meurtrières au curé du village, son attirance mêlée de haine pour ses camarades mieux nés que lui - Bruno se livre sans fards, de manière clinique.


Les faits divers exercent un pouvoir de fascination, surtout ceux pour lesquels on ne perçoit aucune explication. On voit à l’écran un jeune homme, fervent croyant, qui lutte désespérément contre lui-même. Avoir un intellect brillant, n'empêche aucunement ses pulsions dévastatrices, ça semble juste lui permettre de formaliser de manière très littéraire son parcours de vie, avec une grande acuité, et ça jette d'autant plus le trouble chez les autres qui l’écoutent se raconter, aux confins de l’humanité.


Le jeune meurtrier encore adolescent confesse au curé ses pulsions érotomanes-meurtrières face auxquelles il se sent totalement démuni. Il lui avoue penser au suicide, mais ça ne peut être une solution pour lui, il ne pourra se repentir pour expier son péché.
L’homme d’église condamne la masturbation à laquelle Bruno s’adonne frénétiquement et lui propose d’entrer au séminaire, pour devenir curé. Quand le jeune homme réclame de l’aide désespérément, bien avant de passer à l’acte, il n’a pour unique réponse de canaliser ses pulsions sauvages qui font trembler ses mains, à travers les études. Aux déviances de Bruno la seule proposition est mystique.
On peut alors se demander, si cela n’aura pas contribuer au morcellement de sa pauvre psyché encore adolescente, en quête désespérée de réponses face à ses démons intérieurs. Il fût des époques d’une grande cruauté humaine.
Bruno Reidal, dont l’histoire est inspirée de faits réels, est mort en 1918, à l’âge de 30 ans dans un asile d’aliénés.


Le réalisateur de 36 ans, Vincent Le Port, dont c’est ici le premier film, montre à travers les mots de Bruno, qu’il parvient parfois davantage à écrire qu’à dire, les prémices de la psychiatrie moderne, face à la genèse d’un serial-killer.
Et c’est bien là toute la puissance du film, de parvenir à scénariser et à imaginer en images cette histoire terrifiante, d’un enfant qui en tue un autre.
La première et la dernière scène du film, sont celles du crime. Dans la première, on ne verra que le visage de Bruno, sous l’emprise de son acte, son visage défiguré par ses pulsions, alors que la jeune victime est hors-champ. Dans la dernière, c’est l’hors-champ du début, qui est restitué sous nos yeux, après la confession du jeune meurtrier. Entre les deux, de manière irréversible, l’image remonte le fil de la courte vie des 17 années de Bruno Reidal, jusqu’au drame inéluctable.
Le procédé cinématographique est extrêmement adroit, la scène est horrible, mais nous y avons été préparés tout le long du film, par la confession.

Freud est mort en 1939, deux années après Lou Andréas Salomé, les pionniers de la psychanalyse. L’avènement de la pharmacopée date de 1950, avec les premiers traitements de psychotropes et neuroleptiques. Assurément, Bruno Reidal est bien mal né, à la mauvaise époque, pour pouvoir conserver sa part d’humanité, face à l'éclosion de toute sa monstruosité.


BRUNO REIDAL, Confessions d’un meurtrier (1h41 – France) de Vincent Le Port avec Dimitri Doré, Jean-Luc Vincent.

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