[Je n'ai pas vu le film original sud-coréen, donc je ne vais pas m'amuser à faire la moindre comparaison. En conséquence, je vais critiquer Bugonia de Yórgos Lánthimos complètement comme une œuvre à part entière.]


Alors, je vais commencer par les qualités.


Emma Stone, grande habituée de l'univers du cinéaste, est comme à son habitude excellente dans le rôle d'une patronne puissante, robotique, faussement bienveillante, qui, par la force des choses, va se retrouver victime, parvenant à insuffler quelques éclairs d'émotion derrière une façade glaciale, par des regards, par des postures. Jesse Plemons prouve encore une fois qu'il est imbattable pour incarner avec maestria une dangerosité prête à éclater à tout instant, dissimulée sous une apparence de normalité (ou comment, grâce à ce talent particulier, il était parvenu à totalement voler la vedette à tout le monde en n'étant pourtant présent que dans une seule scène de Civil War d'Alex Garland !).


Plutôt sobre et froid dans son esthétique durant la majeure partie de sa durée, l'ensemble se permet une fulgurance intéressante dans les couleurs et l'extravagance des décors à un moment donné (même si ce dernier ne fait qu'enfoncer, d'une manière irréversible, le clou de la stupidité du long-métrage dans son propos !).


Reste que la posture de démiurge se croyant au-dessus de la mêlée adoptée par le réalisateur m'a agacé et m'a pourri le visionnage de tout le film. En effet, les personnages sont juste des instruments pour servir une sorte de dispositif conceptuel, privés de la moindre complexité, de la moindre contradiction et de la moindre nuance, ne se résumant qu’à des traits négatifs. Et quand un rare motif noble apparaît, il est tout de suite réduit à néant par le ridicule.


Cette impression est accentuée par un traitement plus que superficiel de thématiques graves et bien contemporaines — complotisme, écologie, cynisme corporate des puissants, hypocrisie sociale, inégalités, conditions de travail déplorables pour celles et ceux qui sont en bas de l'échelle — à peine esquissées, ne servant jamais à structurer la narration, à apporter des enjeux ou à injecter de la consistance aux protagonistes. Rien, nada...


C'est aussi profond que l'internaute vivant sa petite vie tranquille, sans autre moteur que son bien-être, se croyant profondément engagé en postant de temps en temps un petit hashtag sur les réseaux sociaux, pas pour changer les choses, mais pour faire bien, pour satisfaire son petit ego, tout en croyant qu'il est meilleur que les autres en faisant cela.


Bref, ce serait bien que Yórgos Lánthimos se rappelle que nous faisons tous partie de la même mêlée, que cela lui plaise ou non.

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