OK, l’époque n’est pas à la réjouissance. Les crises de toute nature s’enchaînent, les colères montent. Partout, le dialogue recule, remplacé par la peur, la confrontation, le soupçon et l’hystérisation des débats. 
C’est précisément ce climat que Yorgos Lanthimos choisit de mettre en scène dans son nouveau film. Oui — mais pas n’importe comment.
Lanthimos observe ce chaos et y accole un propos profondément cynique, s’autorisant une proposition peuplée exclusivement de personnages détestables, plus absurdes les uns que les autres : le complotiste manipulateur, sadique et meurtrier ; le cousin crétin ; la PDG successful soudainement illuminée par la bienveillance et la diversité à des fins marketing ; ou encore le policier obèse, pédophile et idiot. Toute l’humanité ramenée à une farce grotesque, inconsistante, bête.
Lanthimos semble se complaire dans le vide qu’il dénonce, érigeant le désespoir en posture esthétique. Il filme l’absurdité du monde avec délectation, célébrant la bêtise crasse et le désastre ambiant, comme si la dérision seule suffisait à faire sens. Très vite, sa caméra ne cherche plus ni à comprendre, ni à sauver, ni quoi que ce soit d’ailleurs : elle constate, moque et punit — mais dans la bonne humeur, hein.
Dans ce dispositif malsain, le spectateur se retrouve rapidement complice malgré lui, réduit à observer ces pantins pathétiques et lamentables sans jamais avoir le droit de ressentir pour eux autre chose que du dégoût. Aucun échappatoire, aucune porte de sortie : sous les coups de boutoir de la caméra sarcastique de Lanthimos, il ne vous restera que le rire amer de celui qui juge et se croit au-dessus du monde. Cruel.
Pire, la satire finit par se retourner sur elle-même, étouffée par l’auto-satisfaction et le jusqu’au-boutisme — idiot lui aussi — de son auteur, qui abandonne finalement tout aux platistes, aux complotistes de la pire espèce avant d’anéantir l’humanité tout entière — mais pas les chiens ni les chats — dans un dernier claquement de bulle. Tout ça sur fond de musique pop. Tout ça histoire de placer un petit twist final bien senti.
Ce nihilisme chic laisse un goût terriblement amer : celui d’un cinéma vaniteux et moralisateur qui tient l’humanité pour pourrie jusqu’à la moelle, irrécupérable, uniquement bonne à être exterminée dans son intégralité.
Un propos détestable.