La production cinématographique Belge n'est pas aussi dynamique que celle de France (même si on serait tenté de dire que s'il y a moins de productions, le standard de qualité et l'ambition sont plus élevées là-bas...) mais de temps en temps, nos amis Belges nous balancent quelques claques monumentales dans la tronche, l'exemple venant à l'esprit de tous étant le cultissime C'est arrivé près de chez-vous. On peut aussi citer dans un autre registre l'hilarante comédie Dikkenek ou le récent la Merditude des choses.
Bref, il y a du talent chez les flamands et wallons et ce n'est pas Bullhead, qui a raflé des prix dans tous les festivals où il a été présenté (Beaune, L'étrange festival, Palm Springs, etc.), qui viendra infirmer cette idée.
Bullhead est un film somme : une œuvre atypique qui se situe au carrefour de plusieurs genres, dans un esprit similaire à celui du cinéma coréen même si la dimension comique chère au pays du matin clame est ici inexistante (à l'exception du portrait de deux garagistes complètement abrutis et d'une scène d'interrogatoire hilarante).
Le métrage a déjà pour lui un cadre très original et jamais exploré au cinéma, l'histoire se déroulant dans le milieu du trafic d'hormones. Michael R.Roskam se sert de ce contexte particulier comme base pour construire une intrigue de polar classique mais efficace aux connotations sociales évidentes.
Sauf que... suite à la révélation du trauma du personnage principal, Bullhead devient un drame intimiste bouleversant transcendé par un acteur phénoménal qui porte le film sur ses larges épaules.
La « Tête de Bœuf » du titre, c'est Matthias Schoenaerts (retenez bien ce nom pour les années à venir !), un acteur flamand inconnu jusqu'à présent qui irradie littéralement la pellicule.
Doté d'une présence physique monstrueuse (il a visiblement poussé beaucoup de fonte pour se forger une musculature dont la visée n'est pas qu'esthétique...) couplée à un jeu d'une intensité rare, il donne vie à un homme marqué à jamais par la brutalité du monde et qui malgré ses accès de violence, suscite inévitablement l'empathie du spectateur. Le deltoïde saillant et le visage marqué : il trimballe un regard d'animal blessé qui vous hante longtemps après la vision du film, le parallèle évident entre l'éleveur et ces bêtes étant un des ressorts dramaturgiques du métrage.
C'est simple : on appelle ça une révélation ! Jacques Audiard ne s'y est pas trompé en lui confiant le rôle principal de son prochain film : le très attendu de Rouille et d'os avec aussi Bouli Lanner et l'omniprésente (qui a dit omnichiante ?) Marion Cotillard.
Vous l'aurez compris Bullhead doit beaucoup à son acteur principal même si on ne saurait nier les autres qualités du film. Celles-ci sont d'abord plastiques, Roskam faisant preuve d'une certaine virtuosité dans sa mise en scène avec notamment une composition des cadres intéressante, quelques beaux plans séquences et une utilisation astucieuse du slow-motion. Associée à des décors tristes et à une photographie qui privilégie les tons gris, la réalisation participe d'une ambiance de sinistrose sociale et morale qui fait écho aux drames personnels des personnages.
En effet, Bullhead est un film aux enjeux terriblement humain et cela parce que la tragédie du héros a impact sur son entourage (culpabilité, lâcheté, etc.), la narration tissant habilement des liens entre les différents protagonistes bien aidé par des dialogues lourds de sens et une interprétation de qualité.
Cerise sur le gâteau, le film se permet même d'aborder subtilement les divisions linguistiques et culturelles à l'origine de la crise Belge actuelle !
A l'arrivée, Bullhead est un grand film, son statut d'ovni étant sa force principal : il marque la naissance d'un réalisateur à suivre (pour un premier long, c'est un sans faute !) et l'éclosion d'un grand acteur en devenir !
Il sort chez nous le 22 février : si vous avez envie de voir une production qui sort des sentiers battus ou simplement du grand cinéma, vous savez ce qu'il vous reste à faire...
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