Après Secret Sunshine et Poetry, Lee Chang-Dong perpétue avec Burning son introspection contemplative de l’humain, un triangle amoureux qui infuse dans une eau bouillonnante de frustration, avec un soupçon de thriller qui contamine alors sa saveur mélodramatique d’un parfum de doute et d’illusion. Adaptant une nouvelle de Haruki Murakami, le film y opère quelque part un subtil exercice réflexif, en dessinant doucement le portrait d’un auteur et ses sacrifices à la fiction. Dans ses allers et venues, ses stagnances et ses interrogations, l’oeuvre parvient secrètement à brûler son dispositif pour nous marquer au fer rouge.


De prime abord loin de l’intensité plurielle qu’a pu nous offrir le cinéma sud-coréen ces dernières années, le métrage n’offre que peu de rebondissements, un rythme latent et une atmosphère ambiguë qui multiplie les mystères dans les fils de son intrigue. L’ennui aurait pu très facilement avoir raison de nos paupières, si Chang-Dong n’avait pas ce talent inné de trouver sa pluralité dans une toile complexe d’histoires cachées derrière les signes de sa narration et de sa mise en scène. Les métaphores pullulent sans non plus s’imposer vulgairement, du motif de la fenêtre reflétant l’obsession jusqu’à la figure féminine qui scinde le cadre en deux pour manifester la lutte des classes, en passant par la lueur du feu et son mythe de colère retenue. On notera malheureusement quelques clins d’œil en trop, asphyxiant un brin la subtilité de sa dialectique. Le film perturbe toutefois concrètement sur le long terme car se révèle tentaculaire dans ses paradoxes, la romance face au thriller, le visible face à l’invisible, l’inconnu face au motifs. Dans cette dualité constante s’installe alors la paranoïa, les marottes d’un jeune écrivain se dédoublant avec les interprétations du spectateur.


Le magnétisme des acteurs en parfaite poétisation avec les plans-séquences de Chang-Dong comblent les pièces manquantes que multiplie Burning, aigre panorama d’un monde mystérieux et inexplicable faite de serres et d’Hommes, consumé par un kaléidoscope d’allégories romanesques et politiques. Dans ces abysses de l’imagination émane une jeunesse coréenne en difficulté, vide d’espoir et remplie de colère, dont l’abstraction paraît ici éminemment cinématographique. En ressort un thriller fascinant et étouffant qui demande les efforts du spectateur pour entretenir la flamme, sa fumée embrumant les chimères du héros et les desseins du réalisateur en un tout vers un ultime geste fou, l’invention humaine et macabre du sens de la vie.


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MaximeMichaut
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le 20 sept. 2018

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