Manuel d’apprentissage – Jour 14

--- Bonsoir, voyageur égaré. Te voila arrivé sur une critique un peu particulière: celle-ci s'inscrit dans une étrange série mi-critique, mi-narrative, mi-expérience. Plus précisément, tu es là au seizième épisode de la quatrième saison. Si tu veux reprendre la série à sa saison 1, le sommaire est ici :
https://www.senscritique.com/liste/Vampire_s_new_groove/1407163
Et si tu préfère juste le sommaire de la saison en cours, il est là :
https://www.senscritique.com/liste/Vampire_2_King_Crocs/2478265
Et si tu ne veux rien de tout ça, je m'excuse pour les parties narratives de cette critique qui te sembleront bien inutiles...---


Nous y voilà. Après plus de deux semaines de tensions, de réconciliations, de vraies et de fausses amitiés, nous sommes finalement tous réunis dans mon salon, vampires comme lycanthropes, partageant une tranche de nuit entourés de jack-o-lantern ricanant et accompagnés du film star du mois à mes yeux. J’appréhende déjà beaucoup, seule, de me confronter à ce film, sur les épaules duquel, je le sais, je place bien trop d’espérance. Mais m’y confronter en présence de toutes ces âmes, qui ne manquerons pas de marquer leur sentiment du film sans me laisser le répit d’y réfléchir, seule une urgence comme celle de nous traversons actuellement pouvait me pousser à une situation aussi inconfortable. La reine vampire s’inquiète mortellement du jeu dangereux auquel nous jouons, de défier nos deux communautés en multipliant les démonstrations d’affection entre nos meutes. Il me semble pourtant que tous ces risques en valent la peine, d’ailleurs je m’apprête à leur en proposer un plus grand encore, et je compte bien sur l’affection de nos meutes l’une pour l’autre pour contrebalancer la méfiance et l’amour des stratégies imparables qu’on a éduqué à leur reine depuis toujours.
Encore une fois, le film coïncide plutôt bien avec notre situation : un duo de femmes qui doivent luter contre le reste de leur espèce, qui nourrit envers elles des intentions belliqueuses du à leur incompréhension de leur situation et de leur point de vue. Neil Jordan me bouleverse encore une fois, se montre à la hauteurs de mes inatteignables ambitions pour ce film, se hisse pour la troisième fois tout en haut de mon classement des film du mois-monstre (notons que le quatrième et unique podium sur lequel il n’a pas trôné était celui du mois Frankenstein, pour lequel il ne m’avait hélas proposé aucun concurrent). L’histoire est comme je les aime et comme M. Jordan sait si bien les proposer : intense, émouvante, passionnée, douloureuse par moment, tendre à d’autres. Les personnages sont saisissants, vivent bien au-delà de l’écran, bien au-delà de la durée du film, ce ne sont que des fragments de leur riche existence qu’on nous offre ici précieusement, mais le reste existe bel et bien sans l’ombre d’un doute. Encore une fois, Neil Jordan nous montre son sens du casting parfait, mixant quelques jeunes têtes d’affiches prometteuses à d’autres rôles-clef tenus par des comédiens tout aussi excellents qu’injustement inconnus. Coup de cœur absolu pour l’interprète de Frank qui réussi le triple exploit d’être roux mais charismatique, d’avoir la bouche de Steven Tyler et d’être presque aussi saisissant de douleur que Nahuel Perez Biscayart (et venant de moi, cette comparaison relève plus de la vénération que du simple compliment).
Ça devient une constante ce mois, mais relevons néanmoins la puissance des femmes héroïnes, la profondeur de leur personnalité, l’absence totale de superficialité ou d’instrumentalisation de ces personnages qui tiennent seules le film, sans avoir particulièrement besoin des hommes, relégués aux seconds rôles. Les paysages sublimes, les décors d’une justesse émouvante, la lumière expressive et discrète, tout cela n’est que petits bonus comparé à la virtuosité de la narration, des dialogues, de l’interprétation. Chaque révélation, chaque élément de compréhension, chaque rebondissement est un délice de perfection et de finesse. On oscille entre passé et présent sans lourdeur, entre amour et haine sans saccade. Brillant.
Avec plus ou moins d’ardeur que moi, mes hôtes saluent le film, à mon grand soulagement. Partager un avis positif sur un film permet toujours de renforcer superficiellement les liens entre personne à l’issue de la séance. Je n’ai rien besoin de plus pour proposer dans un climat de confiance mon plan simple mais reposant sur les compétences de chacun. En plus, le film me sert d’introduction parfaite, montrant les affres de l’ignorance et de l’intolérance sur une communauté comme la notre, quand bien même elle se veut progressiste, pacifiste ou ouverte d’esprit. Et le rôle que chacun a à jouer dans l’évolution de ces communautés, quel que soit son rang dans sa hiérarchie, quelle que soit sa puissance ou son intérêt profond. Je ne suis pas une joueuse d’échec à la vision absolue et la froideur objective comme les dirigeants vampires. Mais j’ai su remarquer dans toutes les meutes que j’ai dirigées que la passion et l’affection, qu’elle soit amicale, amoureuse ou fraternelle, révélait des forces, éduquaient des groupes, provoquaient des puissances qui pouvaient être, sans contrôle, aussi bien destructrice que fédératrices. Alors mon plan est simple : pour une fois, contrôlons-la, cette force. Dirigeons la contre nos ennemis, contre l’ignorance, contre la haine qui gronde, contre la violence qui suinte. Partons en éclaireurs, tous autant que nous sommes, car nos amours sont égaux, qu’il n’y a plus de dominants ni de dominés qui tiennent quand notre monde se tient au bord de l’abîme et que nous sommes les seuls à vouloir le tirer en arrière. Répandons-nous, et allons porter partout cette idée qui est notre intime conviction et que nous avons tant de mal à communiquer à nos frères : que cette guerre est absurde, inutile et sans justification. Qu’elle repose sur une supercherie, un malentendu, que nous ne nous battrons pas parce que des mauvais films des années 2000 nous l’ont dicté, alors que d’autres comme ceux de ce soir sont injustement tombés dans l’oubli.
Ils ont acceptés, enthousiastes et terrifiés à la fois. Puisque nous nous répandons, il n’y aura plus de meutes à Paris, plus de forces pour défendre nos bastions. La reine vampire et moi-même y resterons seules, et si nos forces respectives peuvent pousser à la prudence, une supériorité numérique suffisante pourrai nous être fatale. Quand à nos protégés, nous les envoyons vers de potentiels mouroirs, si leur force d’éloquence ne s’avère pas suffisamment convaincantes, suffisamment rapidement, les groupes hostiles n’hésiterons pas à envoyer la bonne parole aux enfers. Certains mourrons c’est certain. Mais même si nos meutes entières devaient être décimées, le raisonnement numéraire pousse la reine vampire à s’incliner face au projet : Ce sont des morts potentiels, certes, mais moins que ceux que nous infligeraient une guerre ouverte, échappant totalement à notre contrôle.
Zalya
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le 3 nov. 2019

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Zalya

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