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Le film s’ouvre sur un plan fixe : une table en formica, deux tasses fumantes, une radio grésillante. On entend, au loin, un coq — ou peut-être un souvenir de coq, réanimé par la bande-son. La caméra de Vinciane Millereau ne filme pas l’époque : elle la réveille. On croit sentir la cire sur le carrelage, l’odeur d’un café mal dosé, la poussière sur les stores. Et soudain, un bruit d’aspirateur, un bip, un flash bleu — les années 50’ disparaissent. On entre dans 2024 comme on entre dans un supermarché trop éclairé : aveuglés, un peu honteux.
Elsa Zylberstein, en Hélène, ne joue pas la femme libérée : elle la découvre, maladroitement, comme on découvre l’électricité statique. Le plan où elle touche l’écran d’un smartphone — petite étincelle, petit cri — vaut plus que cent discours. Didier Bourdon, lui, traîne son corps d’homme déclassé comme une valise trop lourde. La caméra tangue légèrement, tremble presque, au moment où il comprend que son autorité ne vaut plus rien. C’est drôle, oui, mais d’un drôle triste, nerveux, presque coupable.
On s’attend à une comédie de situation, on reçoit un film sur le deuil — celui d’un monde ancien, peut-être celui d’un mariage. Le montage, sec, glisse d’un gag à une solitude sans prévenir. Un cut, et la cuisine des années 50 devient une cuisine Ikea : tout est blanc, sans odeur, sans graisse. Millereau s’amuse à brouiller les temps, à mélanger les textures : pellicule granuleuse pour le passé, numérique trop lisse pour le présent. Ce contraste n’est pas un gadget : il dit tout de la fracture entre mémoire et modernité.
Le son est un personnage. Le silence, surtout. Après une dispute, on n’entend plus rien, sinon un lave-vaisselle qui ronronne. Le mixage amplifie ce vide, comme si l’électroménager prenait la parole. La musique, signée par un duo anonyme, ne souligne rien : elle accompagne, en retrait, le désarroi des personnages. On y perçoit des instruments d’époque noyés dans des nappes électroniques. On ne sait plus de quel temps on est, et c’est très beau.
Giulia Lambert (Blondine) apporte un contrepoint insolent : sa diction rapide, ses baskets fluorescentes, son rire qui fend la nappe sonore. Esteban Delsaut, en André, incarne la jeunesse comme un bug dans le système. Frédéric Clou, l’inventeur, surgit à la moitié du film pour offrir la seule explication possible — un bricolage absurde de transistor et de micro-ondes — avant de disparaître aussitôt. On rit, on s’étonne, on ne sait plus s’il fallait comprendre.
Visuellement, le film alterne douceur et cruauté. Un travelling latéral suit Hélène dans un supermarché vide ; les néons se reflètent sur le carrelage comme des barreaux. Puis un gros plan sur ses yeux : elle sourit. On sent le vertige, la liberté, la fatigue aussi. Vinciane Millereau filme le présent comme une dystopie lumineuse, et le passé comme un refuge moisi. C’est malin, cruel, précis.
Ce n’est pas un film sur la nostalgie, c’est un film sur l’impossibilité de revenir en arrière. On rit jaune, on s’émeut sans raison, on se surprend à reconnaître nos propres archaïsmes dans les maladresses de Michel. Et quand le générique arrive, sans musique, juste un souffle, on comprend : il n’y avait jamais eu de voyage dans le temps. Seulement une mise à jour.
Ma note : 12 / 20
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