Zachary est le quatrième garçon de la fratrie Beaulieu; son père, Gervais, homme aimant mais exigeant et tempétueux, ne parvient pas à établir une relation harmonieuse et solide avec lui: conscient de la différence de son fils, Gervais cherche par tous les moyens à éviter que celui-ci devienne une "fifille" (une "tapette" en québécois). En grandissant, Zach cherche à noyer sa personnalité et sa souffrance dans des comportements provocateurs et excessifs, qui apaisent les craintes de son père mais le rendent de plus en plus étranger à lui-même...

"C.R.A.Z.Y." est un formidable film sur le "corps familial", sur ses douleurs, sur les malentendus qui le façonnent. Nous suivons l'itinéraire d'un jeune homme qui, avant même de trouver sa place dans le monde, doit définir son rôle au sein de son foyer.
Il s'agit donc d'un récit d'apprentissage, de recherche et de découverte de soi: le film se nourrit de thèmes familiers (les troubles de l'adolescence, les rapports filiaux conflictuels, la quête d'une identité sexuelle), mais il est bien plus que cela: la saveur du scénario et des dialogues (il est difficile de ne pas succomber aux délices du parler québécois), la fraîcheur d'une réalisation inventive lui donnent une dimension très personnelle.
Jean-Marc Vallée pose sur son histoire un regard qui s'approprie le monde et le transforme. Nous pensons parfois au travail de Jean-Pierre Jeunet : Vallée joue lui aussi sur une mise en relief des détails, des petits riens (la préparation des "toasts au fer"), sur un désir de colorer et de rythmer différemment le quotidien, sans pour autant lui ôter sa cruauté et le sentiment d'instabilité qui l'imprègne. Le metteur en scène parvient à rendre chaque épisode de la vie du jeune garçon profondément captivant: il existe, entre le personnage de Zachary enfant et nous, une réelle connexion, un lien très fort (presque comme le lien viscéral qui l'unit à sa mère). Les difficultés qu'expérimente cet enfant solitaire, anxieux et en souffrance nous parlent directement car elles font écho à nos propres souvenirs d'enfance, à nos propres peurs.

Il n'y a pas de bourreaux ni de victimes dans le clan Beaulieu: les rôles sont en effet beaucoup plus subtilement dessinés. A l'image de cette scène mémorable, où Gervais (Michel Côté, excellent), anéanti devant l'homosexualité de Zachary, lui déclare: "tu ne peux pas refuser la plus belle chose qui peut t'arriver dans la vie: avoir des enfants." Éloquente réplique, car elle exprime à la fois l'incapacité de ce père à accepter son fils tel qu'il est, et son amour indéfectible pour lui. Gervais reste un être orgueilleux, maladroit, mais humain. Jean-Marc Vallée ressent une vraie tendresse pour ses personnages, malgré leurs faiblesses.

Il y a tant de raisons d'aimer "C.R.A.Z.Y": sa bande originale éclectique mais toujours cohérente (David Bowie y côtoie Patsy Cline ou encore Charles Aznavour), son humour nerveux et ironique, sa chaleur généreuse et pittoresque...et surtout cette faculté à contourner les obstacles: le film sait être émouvant sans verser dans le pathos étouffant; chaque scène est un miracle d'équilibre et de justesse.

Une œuvre originale et sincère, qui peut également se revoir avec un plaisir renouvelé.
Frankoix
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le 21 nov. 2010

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