Ça tourne à Séoul, dixième long-métrage de Kim Jee-woon (J’ai rencontré le Diable) signe le retour du réalisateur à la comédie pour la première fois depuis les débuts de sa carrière. Cette satire sur le milieu du cinéma est un véritable mille-feuilles cinématographique : elle peut s’enfourcher à pleines bouchées pour le simple plaisir des pupilles gustatives ; ou bien se laisser décortiquer, feuille par feuille, pour révéler une fascinante évocation de la sombre période de l’histoire coréenne des années 1970 et une profonde introspection du réalisateur sur la créativité et la vocation du métier de réalisateur.


LE REALISATEUR KIM JEE-WOON

Kim Jee-woon est l’un des fers de lance du renouveau du cinéma coréen à la fin des années 1990 et au début des années 2000, aux côtés d'autres personnalités célèbres comme Bong Joon-ho et Park Chan-wook. Ces jeunes talents ne sont plus issus du modèle de l’assistanat des anciens studios, mais sont d’authentiques cinéphiles venus au cinéma par pure passion. Leur apparition coïncide avec la montée des ciné-clubs universitaires et l'essor du marché de la vidéo dans les années 1980, leur offrant ainsi pour la première fois un accès inédit à une multitude de films venus des quatre coins du monde.


Les cinéastes de cette période sont surnommés « la génération 386 » : des personnes nées dans les années 1960, qui ont été témoins des bouleversements socio-politiques de leur pays dans les années 1980, et qui sont trentenaires dans les années 1990 et 2000. Leurs films puisent donc à la fois dans leur ardente passion pour le cinéma, mais aussi dans leur expérience personnelle des profonds changements de la société coréenne.


Ça tourne à Séoul en est une parfaite illustration.


Kim Jee-woon débute dans les années 1990 comme acteur, puis metteur en scène de pièces de théâtre remarqués. En 1998, il réalise un premier long-métrage, La Famille Tranquille (1998), qui mêle comédie satirique au thriller et au film d’horreur. L’extraordinaire capacité de Kim Jee-woon à explorer des multiples genres pour mieux en éprouver leurs limites a joué un rôle crucial dans le renouveau du cinéma coréen de la fin des années 1990, inspirant d’autres réalisateurs et assurant de nombreux succès locaux et mondiaux.


Après ses comédies La Famille Tranquille (1998) et The Foul King (2000), il enchaîne par le film d’horreur Deux Sœurs (2003), les hommages au polar noir hongkongais A Bittersweet Life (2005) et au western mandchourien Le Bon, la Brute et le Cinglé (2008), le film de vengeance J’ai rencontré le Diable (2010), le thriller d’espionnage historique The Age of Shadows (2016) et le film d’anticipation futuriste adapté d’un anime (long-métrage d’animation japonais), Illang : La Brigade des loups (2018).


Ça tourne à Séoul, dixième long-métrage de Kim Jee-woon, marque donc son retour à la comédie pour la première fois depuis ses débuts. En explorant l’obsession d’un réalisateur de la Corée des années 1970, qui souhaite à tout prix retourner la fin de son dernier film pour tenter d’en faire un chef-d’œuvre, Kim Jee-woon livre une satire hilarante des défis inhérents à la réalisation, dans la lignée de Chantons sous la pluie (Stanley Donen & Gene Kelly, 1952), Ed Wood (Tim Burton, 1994), Avé, César ! (Ethan & Joel Coen, 2016) ou, plus récemment, Babylon (Damien Chazelle, 2022). L’intrigue à multiples rebondissements passe en revue pratiquement tous les malheurs envisageables pouvant frapper un réalisateur, entre producteurs envahissants, acteurs has-been aux égos surdimensionnés et censeurs zélés.


Mais en faisant le choix d'ancrer son histoire au début des années 1970, Kim Jee-woon dresse également un portrait captivant de l'industrie cinématographique et de la société coréennes durant les sombres années 1970. Une page de l’Histoire largement méconnue à l'échelle internationale.


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AU SUJET DU FILM

L’EPOQUE


Pour une meilleure compréhension de la demande tout à fait inhabituelle du réalisateur Kim de retourner la fin de son film et de la psychose de sa productrice d’éviter de contrarier la censure, il est important de replacer Ça tourne à Séoul dans le contexte historique de la Corée du début des années 1970 :


Le cinéma coréen nait officiellement le 27 octobre 1919 avec la sortie de Fight for Justice de Kim Do-san. L’éprouvante période d’occupation japonaise (1910-1945) suivie de la Guerre de Corée (1950-1953) entrave son développement, mais une série d’exonérations fiscales adoptées dans les années 1950 encourage les producteurs à investir le secteur : la production cinématographique passe de 15 films en 1955 à 111 en 1959 avant de connaître un véritable âge d’or dans les années 1960 avec – à son apogée – 229 longs-métrages tournés en 1969 attirant 178 millions spectateurs dans les salles, un record seulement battu en 2012.


Dans les années 1960 et au début des années 1970, les films sont produits à un rythme effréné, en moins de quatre semaines, depuis la première idée jusqu'à leur diffusion en salles. Les cinéastes les plus prolifiques de l’époque, comme Kim Soo-yong, Jang Il-ho et Kim Kee-duk, tournent jusqu’à dix longs-métrages par an. Les studios sont d’immenses hangars mal-isolés et non-insonorisés ; le manque d'infrastructures et d’équipements oblige les équipes de tournage à partager caméras et plateaux de tournage.


Les vedettes de l’époque sont extrêmement sollicitées, en enchaînant jusqu’à quatre films par jour, découvrant leur texte depuis des prompteurs à même la prise de vue. Elles sont doublées par des professionnels entassés dans les rares cabines de prise de son et qui ont pour ordre d'adopter des « voix fluettes », souvent très différentes de celles, originales, des acteurs. Ça tourne à Séoul évoque certaines de ces anecdotes avec malice.


Mais l’évolution du cinéma coréen a toujours été intrinsèquement liée à sa situation politique : le 16 mai 1961, un coup d'État mené par le général Park Chung-hee inaugure l’ère d’un régime militaire particulièrement strict (1962-1979). Le nouveau président met en place diverses mesures, dont un système de production et de distribution calqué sur le modèle hollywoodien, réduisant le nombre de maisons de production de 71 en 1961 à quatre en 1963 et en les « encourageant » à favoriser les films anticommunistes, nationalistes et pro-régime.


En octobre 1972, le président Park Chung-hee instaure la constitution « Yusin », lui conférant un pouvoir absolu avec un nombre illimité de mandats présidentiels. Il renforce également la censure : en 1975, 80 % des scénarii font l'objet de révisions, contre seulement 3 % en 1970. Dans ce contexte, la production chute de 209 films tournés en 1970 à 96 en 1979.


L’intrigue de Ça tourne à Séoul se situe donc très exactement à la période charnière entre la fin de l’âge d’or du cinéma coréen et le début de son déclin, en faisant aussi allusion – de manière implicite, mais avec beaucoup d’ironie – à la forte censure sous le sombre régime militaire de Park Chung-hee.


LA CREATIVITE SELON KIM JEE-WOON

Au-delà de la satire fictive parsemée de faits historiques authentiques, Ça tourne à Séoul constitue également une captivante introspection personnelle de Kim Jee-woon sur le pouvoir de la créativité et le métier de réalisateur. Empêché de tourner pendant la pandémie de Covid et convaincu que le monde ne sera plus jamais pareil qu’avant la crise, il s’est longuement interrogé sur la finalité du cinéma et la profession de réalisateur.


Kim Jee-woon se sert en premier lieu de Ça tourne à Séoul comme allégorie sur son propre combat réitéré pour mener chacun de ses projets contre vents et marées à bon terme. Le personnage de Kim Ki-yeol agit comme son alter ego : ce dernier est passé de cinéaste acclamé pour son premier long-métrage à simple exécutant de projets commerciaux. Le retournage de la fin de son dernier projet lui sert comme une véritable rédemption artistique et lui donne la force et l’énergie nécessaires à affronter tous les obstacles se dressant sur sa route.


En même temps, Kim Jee-woon s’intéresse aussi à ce qui fait l’originalité et l’unicité d’une création : dans son film, le réalisateur Kim Ki-yeol a démarré comme l’assistant du réalisateur légendaire Shin Sang-ho. Son premier – et unique – succès cinématographique est, en fait, l’adaptation d’un scénario « volé » à son maître ; depuis, il se contente d’aligner les projets de commande de ses studios producteurs. La prise de conscience de la nécessité du retournage de son film au début du long-métrage Ça tourne à Séoul constitue donc l’instant précis, où Kim Ki-yeol trouve la force pour enfin tenter de s’affranchir de l’encombrante présence de son mentor et des formules à répétition imposées par ses producteurs pour accomplir sa propre vision artistique.


Ce détail est une autre fascinante introspection de la propre carrière de Kim Jee-woon : non seulement doit-il s’affranchir de l’héritage culturel des maîtres classiques (du cinéma coréen), mais en plus il doit réinventer l’existant. Kim Jee-woon, comme aucun autre réalisateur coréen, n'a cessé de changer de genre à chaque nouveau film. Il ne se contente donc pas seulement de réinventer des histoires déjà racontées, mais carrément de s’approprier et réinterpréter des genres cinématographiques pour les transformer en quelque chose de novateur.


LES OBSESSIONS DE KIM JEE-WOON

Aussi variée la filmographie de Kim Jee-woon, deux thématiques récurrentes traversent toute son œuvre et trouvent leur paroxysme dans Ça tourne à Séoul : la première est celle des personnages systématiquement pris au piège de situations inattendues et apparemment insurmontables. Ça tourne à Séoul raconte principalement l’histoire d’un réalisateur, qui se retrouve confronté à tout un tas de malheurs pour mener à bien son projet de cœur; mais le film relate également le combat individuel des nombreux personnages secondaires : celui de la comptable Shin Mi-do, qui déploie une énergie folle pour mener le tournage à terme ; celui de la productrice, Mme. Shin, qui confronte les « officiels gouvernementaux » pour sauver son studio et celui de l’acteur principal Kang Ho-se, qui doit gérer les conséquences inattendues d’une liaison adultère sur le plateau de tournage.


La seconde thématique récurrente dans l’œuvre de Kim Jee-woon est le traumatisme indicible de ses personnages : tous semblent en proie à des souvenirs sombres, qui sapent leur confiance en autrui. Cette émotion particulière trouve son écho dans de nombreux films réalisés par la « génération 386 » comme ceux de Park Chan-wook ou Bong Joon-ho : les périodes historiques successives de l’occupation japonaise, à la Guerre de Corée fratricide, du régime militaire de Park Chung-hee à l'essor récent de l'ultra-capitalisme individualiste ont progressivement engendré un profond sentiment de méfiance chez les Coréens.


Kim Jee-woon traduit cette émotion particulière littéralement en images, à travers la surprenante séquence finale « du film dans le film » : selon le réalisateur, la vie n’est qu’une vaste toile d'araignée dans laquelle les humains seraient pris (au piège). Peu importe leur conduite de vie, bonne ou mauvaise, ils finiront toujours par se faire avoir par des forces plus puissantes : par l’avidité d’autrui, les imprévus de la vie ou…par un régime totalitaire tapi dans l’ombre, telle une immense araignée.



LES PERSONNAGES

Le réalisateur Kim Ki-yeol (Song Kang-ho)

Kim Ki-yeol, autrefois acclamé par les critiques pour son premier film (au scénario « volé »), est à présent un réalisateur dont les productions sont de simples mélodrames commerciaux. Il est brusquement persuadé, qu'il est en mesure de créer un authentique chef-d'œuvre cinématographique en retournant simplement la fin de son dernier long-métrage ; mais sa route est semée d’embûches, face à des producteurs incompréhensifs, des acteurs aux égos surdimensionnés et des censeurs zélés.


Le personnage de Kim Ki-yeol puise ses origines dans Kim Ki-young, l'une des figures éminentes du cinéma coréen classique. Otorhinolaryngologiste de formation, Kim Ki-young est l’un des fers de lance du renouveau des années 1950. Il a toujours évolué en marge du système des studios, en signant des films plus personnels, parmi lesquels La Servante (1960), aujourd’hui considéré le plus beau film coréen de tous les temps. Ses œuvres sont réputées pour leur extravagance, auxquelles les séquences « du film dans le film » de Ça tourne à Séoul rendent un hommage appuyé en en reprenant les principales caractéristiques, décors et éclairages.


De plus en plus marginalisé dans l’industrie cinématographique coréenne des années 1970 sous contrôle de l’Etat, il finit par tomber dans l’oubli après une série de films anticommunistes sans intérêt : mais la ressortie en vidéo de plusieurs de ses classiques dans les années 1980 le propulse au rang d’icône culte pour les futurs réalisateurs de la « génération 386 » comme Kim Jee-woon. Révélé au monde dans les années 1990 grâce à une série de rétrospectives de ses films dans les plus grands festivals internationaux et la rémasterisation de son chef-d’œuvre La Servante par la World Cinema Foundation dirigé par Martin Scorsese, il périt prématurément avec son épouse dans l’incendie de leur domicile en 1998.


Le « mystérieux mentor » Shin Sang-ho (Jung Woo-sung)

Bien qu'il puisse sembler un simple personnage secondaire, Shin Sang-ho se révèle un fantôme aussi irritant, que totalement indispensable à l’intrigue. Kim Ki-yeol a débuté comme son assistant, avant de lui « voler » un scénario pour assurer son propre premier succès. Le face-à-face entre les deux hommes constitue un élément incontournable dans la rédemption de Kim Ki-yeol.


Le personnage de Shin Sang-ho est inspiré par une autre figure majeure de l’histoire du cinéma coréen, Shin Sang-ok. Ce dernier est le fer de lance, avec Kim Ki-young, du renouveau du cinéma coréen à la fin des années 1950. Il est aussi à l’origine de Shin Films, premier empire cinématographique coréen d’envergure, qui regroupait plus de la moitié des infrastructures dans les années 1960 et comptait plus de 250 employés, soit trois fois plus que son principal concurrent. Shin Sang-ok est le réalisateur et producteur de plusieurs classiques du cinéma coréen, comme Le Locataire et ma Mère (1961) et L’Arche de Chasteté (1962) ; il est également à l’origine du lancements des genres populaires des films de famille des années 1960 et les « westerns kimchis » et films d’arts martiaux des années 1970.


En Corée, il suscitait à la fois admiration et aversion de ses pairs, qui avaient l’impression d’évoluer « dans l’ombre » de son talent et de sa mainmise sur l'industrie cinématographique – comme c’est le cas du réalisateur Kim Ki-yeol dans Ça tourne à Séoul.


Shin Sang-ok est mondialement connu pour avoir été enlevé, peu de temps après son ex-épouse et actrice-vedette Choi Eun-hee, par les services secrets nord-coréens en 1978 pour aider le président Kim Jong-il à tenter de porter le cinéma de son pays à un niveau international. Shin Sang-ok réussit à fuir en 1986 et à trouver refuge aux Etats-Unis, où il crée (et réalise un épisode de) la franchise Disney Les Trois Ninjas sous le pseudonyme de Simon Sheen.


Les productrices


o Madame Shin

Madame « La Présidente » Shin règne en véritable tyran sur ses réalisateurs, qu’elle considère au mieux comme de simples exécutants. Elle n'accorde aucune importance aux aspirations artistiques, mais se préoccupe surtout du profit immédiat de ses projets pour assurer la viabilité de son immense empire cinématographique, Shinseong Films. Elle est très soucieuse de ne pas offenser les autorités, car dans la Corée des années 1970, le moindre « écart de conduite » de sa part aurait entraîné l’impossibilité de continuer à exercer son métier.


Le personnage de Madame Shin est également calqué sur le modèle du producteur Shin Sang-ok. Connu pour son comportement exécrable envers ses employés, assistants et réalisateurs, Shin Sang-ok avait surtout le souci de préserver la pérennité de son immense empire cinématographique Shin Films. Il a d’ailleurs perdu sa licence de producteur, mettant un terme prématuré à sa carrière, lorsqu'il s’est fait épingler par le régime pour avoir volontairement réintégré deux secondes d’un plan auparavant censuré d’une actrice dénudée dans la bande-annonce de son long-métrage Rose and Wild Dog (1975). Criblé de dettes, il envisage l’exil – avant de se faire enlever par les services secrets nord-coréens.


Le choix d’un personnage féminin pour incarner ce rôle n'est pas anodin de la part de Kim Jee-woon et de son scénariste Shin Yeon-shick : en effet, s’il y a eu très peu de réalisatrices dans l’histoire du cinéma coréen (seulement cinq entre 1919 et les années 1990), les postes de production étaient couramment occupés par des femmes dans les années 1960 et 1970 – dans un environnement pourtant très masculin et dans une société foncièrement patriarcale. Le personnage de Madame Shin s’inspire donc aussi de Hwang Hye-mi, l’une des productrices les plus influentes de l’époque, à l'origine des chefs-d'œuvre Le Brouillard (Kim Soo-yong, 1967) et Potato (Kim Seung-ok, 1968). Ses propres réalisations en tant que réalisatrice se sont malheureusement soldées par des échecs, marquant ainsi la fin prématurée de sa carrière.


o Shin Mido (Jeon Yeo-been)

A l’opposé de sa tante « présidente », la pétillante Shin Mido gère la comptabilité des studios Shinseong Films. Elle compte parmi les rares individus qui croient vraiment au réalisateur Kim Ki-yeol. Elle est déterminée à tout (mais alors vraiment tout) mettre en œuvre pour mener à bien le projet, allant jusqu'à abreuver d’alcool les officiels venus inspecter le tournage et à se ridiculiser en s’improvisant (piètre) actrice.


Le personnage de Shin Mido n’est pas calqué sur une personne, mais plutôt sur « l’esprit » de différentes époques coréennes : la seconde moitié des années 1960 marque en effet une première rupture intergénérationnelle, avec une jeunesse qui ne s'identifie plus aux valeurs traditionnelles confucéennes inculquées par leurs aînés. La jeune génération craint également l’avenir incertain sous le régime militaire du général Park Chung-hee.


Le personnage de Shin Mido rappelle, par sa coiffure et sa mode vestimentaire, les étudiantes impliquées dans le futur minjung, un mouvement social sud-coréen de la seconde moitié des années 1970 et des années 1980, qui visait à dénoncer le régime militaire et à promouvoir la démocratie – notamment à travers une toute première série de productions cinématographiques indépendantes tournées en marge de l’industrie cinématographique.


Le personnage de Shin Mido évoque aussi l’émergence de la nouvelle génération de productrices au sein de l'industrie cinématographique coréenne de la seconde moitié des années 1990, jouant un rôle crucial dans son renouveau. Ces productrices tracent la voie pour les réalisatrices, accordant une attention particulière aux personnages féminins et incitant l'industrie à réinventer les genres cinématographiques afin de séduire un public plus large. Les débuts de Kim Jee-woon ont justement été possibles grâce au précieux soutien de jeunes productrices de l’époque.


Ironiquement, aussi révolutionnaire que soit Shin Mido, elle est aussi le fruit du passé mouvementé de la Corée : elle est issue d'une union coréo-japonaise, ce qui lui permet de jurer en nippon et qui consiste une insulte suprême pour des Coréens encore marqués par la douloureuse période d'occupation japonaise à l’époque. Cet élément est un autre clin d'œil, très personnel, de la part de Kim Jee-woon et de son scénariste, rappelant que le cinéma coréen s’est aussi construit sous influence japonaise, ce qui constitue un sujet extrêmement tabou en Corée.


L’ACTEUR


o L’acteur séducteur Kang Ho-se (Oh Jung-se)

Kang Ho-se doit sa célébrité à son rôle dans le premier long-métrage à succès de Kim Ki-yeol ; mais il n’a pas réussi à su maintenir sa popularité et il est désormais perçu comme « ringard » par le public. Marié à une vedette du « film dans le film », il entretient une liaison secrète avec une autre actrice du tournage, Han Yu-rim, ce qui va lui causer d'importants ennuis.


Le personnage de Kang Ho-se est calqué sur l’acteur-vedette des années 1960 et 1970, Shin Seong-il, notamment au niveau de leurs styles capillaires similaires; mais contrairement à son illustre modèle, qui est apparu dans plus de 500 films au cours de 40 ans de carrière, Kang Ho-se en serait sa caricature : son jeu exagéré et théâtral, évoque davantage les mélodrames du temps du muet, que le cinéma de son époque. Sa liaison adultère rappelle celles de nombreuses vedettes coréennes de l’âge d’or du cinéma coréen, qui faisaient régulièrement la Une des journaux pour mieux détourner l’attention des véritables problèmes de la société.



LES ACTRICES


o Mme. Oh (Park Jung-soo)

Mme. Oh est une actrice récurrente des films de Kim Ki-yeol – non pas par amitié, mais – comme elle le dit elle-même – « uniquement pour le cachet ».

Alors que les jeunes comédiennes interprétaient généralement des personnages sacrifiés ou des victimes des normes patriarcales dans le cinéma coréen des années 1960 et 1970, les actrices plus âgées étaient souvent réduites au rôle de la « méchante belle-mère », synonyme de source de conflit et de mal.


o Han Yu-rim (Krystal Jung)

Han Yu-rim incarne la nouvelle étoile montante du cinéma coréen. Elle évoque les nombreuses actrices débutantes dans les années 1960, malheureusement souvent sélectionnées uniquement pour leur physique. Rares sont celles à avoir connu une carrière longue.


Le personnage de Han Yu-rim s’inquiète également à plusieurs reprises de savoir, si elle pourra rejoindre à temps le tournage de son « feuilleton télévisé ». En effet, dans le cadre du plan de modernisation du pays des années 1960, le régime Park incite massivement la population à acheter des téléviseurs pour soutenir le développement économique national et, de manière officieuse, ainsi lui permettre une meilleure diffusion de la propagande gouvernementale. En conséquence, le pourcentage de foyers équipés d'un poste de télévision passe de moins de 1 % en 1966 à plus de 50 % en 1977. Ces changements entraînent un exode massif de réalisateurs, acteurs et actrices pour le petit écran.


L’essor des actrices à la télévision au début des années 1970 est également favorisé par le déclin, au cinéma, des mélodrames, comédies et films de jeunesse aux personnages féminins forts au profit des westerns coréens et des films d’arts martiaux.


o Les « censeurs », M. Park et M. Choi

Les personnages les plus ridiculisés et moqués dans Ça tourne à Séoul sont incontestablement « les censeurs ». Ils surgissent à l’improviste sur le plateau pour interdire le tournage clandestin, avant de se faire corrompre avec de l'alcool. Le responsable, M. Choi, semble même enclin à passer l’éponge, du moment que l’équipe incorpore des éléments anticommunistes dans l'intrigue, même au détriment de toute logique narrative.


Dès son accession à la présidence Park Chung-hee met en place en 1962 une loi cinématographique qui requiert, entre autres, la déclaration de tout projet de tournage (pour une surveillance adéquate), ainsi que des révisions du scénario, puis du film achevé. L'une des stratégies pour « contourner » la censure consistait à intégrer à l’intrigue des thèmes vaguement patriotiques, favorables au gouvernement et / ou anticommunistes.


Il n’était pas rare, à l’époque, que des responsables gouvernementaux fassent irruption sur les plateaux de tournage, prétendument pour superviser le bon déroulement de la production, mais en réalité pour profiter de petits privilèges et avoir l'opportunité d'approcher de près les stars de l'époque.


Il est important de noter que bien que la censure ait été « officiellement » abolie en Corée en 2001 au profit d'un système de classification par âges semblable à celui en France, Kim Jee-woon compte parmi les rares réalisateurs à avoir été frappé depuis par des coupes pour son J'ai Rencontré le Diable (2010) en raison de « la violence exacerbé » et « des scènes de cannibalisme ». Son film a pu finalement sortir au cinéma en Corée dans une version amputée et interdite aux moins de 18 ans.


ANECDOTES AMUSANTES

o Doublure

Le fait de « doubler » un acteur au pied levé pour des plans d’inserts était un fait coutumier dans le cinéma coréen des années 1960 et 1970 en raison de l’emploi du temps surchargé des principales vedettes. L’un des exemples les célèbres est le remplacement, sans aucune explication scénaristique, de Hang Song-shick par l’acteur Im Woon-hak dans la seconde partie de Captain of Bandits (Lee Gyeong-son, 1926) ; en effet, le premier avait subitement abandonné le tournage pour aller vivre au Japon.


o Demi-sœur

La révélation, dans le « film dans le film », comme quoi le personnage de la fiancée est en réalité la demi-sœur du héros est l’un des clichés les plus éculés (et moqués) du cinéma coréen depuis les premiers mélodrames des années 1920 tournés sous influence japonaise. Généralement, ces longs-métrages se terminaient par le suicide des personnages principaux.


o Plan-séquence

Le gag à répétition de la question du « plan-séquence » se moque de la réalisation rudimentaire des films coréens produits à un rythme effréné dans les années 1960 et 1970 et qui faisaient généralement l’économie de tout mouvement de caméra. Kim Ki-young est l’un des premiers à repenser sérieusement la mise en scène.

Comme « le film dans le film » de Ça tourne à Séoul, la plupart des longs-métrages étaient tournés en 16 mm jusqu’au début des années 1980 pour des raisons économiques liées aux coûts de la pellicule et de l'enregistrement sonore. La couleur ne s’est imposée qu’à partir de 1969.


o Balle Perdue

À plusieurs reprises, il est évoqué l’impératif de devoir céder le studio et la caméra pour les besoins du tournage de Balle Perdue (Yu Hyun-mok). C’est un détail volontairement anachronique, puisque ce film a en réalité été réalisé en 1961, donc bien avant la période des années 1970 à laquelle se passe Ça tourne à Séoul. En revanche, Balle Perdue s’est tourné dans la foulée de La Servante de Kim Ki-young, auquel Ça tourne à Séoul adresse des nombreux clins d’œil à travers ses décors et le personnage de Kim Ki-yeol et il est considérée comme « le second » classique le plus important de l’histoire du cinéma coréen.


o Lee Man-hee

Il est fait mention, que l’assistant de Kim Ki-yeol pense rejoindre le réalisateur Lee Man-hee aussitôt le retournage terminé. Lee Man-hee était une autre figure marquante du cinéma coréen des années 1960, qui enchaînait productions commerciales et projets plus personnels. Il était souvent considéré comme « le rival » de Kim Ki-young, dont s’inspire le personnage du réalisateur Kim Ki-yeol.



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le 27 oct. 2023

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