Version (banale et proprette) homo du déniaisage d'une jeune personne de qualité par un Ken pleutre

Film sans grande valeur ni relief, sans secousses ni surprises, voué au désintérêt poli voire au mépris si son couple avait été hétéro (et s'il n'avait pas profité d'une propagande de blockbuster ou de séance très 'citoyenne' comme Le 15h17 pour Paris). Rien de plus trivial que cette rencontre pas si fortuite (les statues et gravures gréco-romaines cristallisent des amitiés à la fois profondes et fugaces) entre un individu niais et un homme assez jeune pour être encore la meilleure version physique de lui-même, juste assez vieux pour avoir une assise dans la vie et surtout les qualités requises d'un initiateur.


La réalisation est cotonneuse, l'approche romantique, la nostalgie et la 'mélancolie' au sens faible et galvaudé se substituent au romanesque (tendres finasseries autour du swag des années 80, amalgamé à l'innocence – comme Stranger Things pour les geeks et les fans de Spielberg). Nous avons à faire à deux homosexuels cultivés, de confession juive, de niveau social (classe et éducation) supérieur, pris dans une bulle à l'écart du monde, de sa vulgarité, de ses rapports de force – et en même temps dans ce monde, mais protégé de ses aspects crus ou nus. La contribution de l'adulte américain à l'éveil du garçon de 17 ans s'avère faible. Au départ il taille son père intellectuellement sur l'étymologie de mots arabes ; c'est le seul moment où il est défendable d'espérer en lui un dominateur ou un tuteur. Il sera un simple amant opportuniste et fuyant, soufflant le chaud et le froid par pleutrerie pour se protéger (et par jeu, mais ce jeu est le refuge du mesquin 'négatif', mesquin faute de noblesse plutôt qu'en raison d'émotions ou de sentiments lourds).


Les deux confessions (une positive, une négative – l'abjecte conversation de l'ambigu sosie de Robin Williams étant 'positive' selon la mise en scène) à l'issue du film sont les seules choses non-prévisibles à l'ouverture de la séance (facilement déductibles pendant). La scène face à la cheminée est en principe et en puissance émouvante, malheureusement c'est la dernière. Un jeune ado s'est laissé éblouir par une romance arnaque, une amourette d'été ; en se mêlant à un pauvre connard d'une lâcheté pourtant flagrante – or à ce niveau de profondeur, comment pourrait-elle ne pas toucher aussi les aspects 'émergés' (les simples comme les romantiques). Il y avait du potentiel dans ces impasses des situations et les vices de caractère des protagonistes, mais, par souci d'harmonie et de bon goût probablement, le film n'en profite que passivement. La réalité brute s'incruste à deux moments, par le biais de débordements viscéraux dont le jeune éphèbe est la cible : la scène de la pèche et celle du vomi (puisque sa source est probablement la même que celle causant le malaise du gamin dans Happiness – quoique venant de l'ouverture inverse puisque la consistance est transparente). Pour le désir brûlant et l'esthétisation de ses effets inappropriés, Téchiné a fourni de meilleures illustrations via Quand on a 17 ans ou Le Lieu du crime.


Les personnages tendent à la vacuité, l'interprétation doit tout fournir pour les remplir. Le désir s'applique comme une sorte de sparadrap, leur sentimentalité est celle d'animaux creux, ripolinés pour entretenir une surface belle et spacieuse, où les fantasmes et la complaisance pourront se loger. Les gamineries de l'escapade finale sont un comble. Qu'Anakin et Padmé se roulent dans l'herbe, la foule s'insurge de tant de grotesque – la nécessité de refouler ses souvenirs de fanboy d'enfance doit encourager. Ici en revanche, les platitudes joyeuses sont recevables. Effectivement le cadre est sûrement plus soigné, pour le reste la relation n'est pas plus mûre. Sauf dans la mesure où elle doit être tragique – ou qu'on la devine sentie comme telle. Le masque du raffinement sert la crédibilité de ce film, ne lui crée pas une sensibilité (et ne fait que remplacer des gratifications sensuelles ou émotionnelles plus directes, qu'un Moonlight savait honorer l'an dernier). Les spectateurs peuvent aimer Call me by your name par acceptation et adhésion à ce type de couple, en y projetant ou désirant un miroir de leur jeunesse (ou envies de jeunesse). En sens inverse, le film se rend difficile à attaquer, notamment sur le fond, en étant rien d'autre qu'un roman-photo sur grand écran. Ses béances vont agacer, or reprocher à une œuvre ce qui lui manque peut facilement sembler abusif, donc laisser supposer à ses défenseurs et ses amoureux que l'opposition a un problème qui ne tient pas au film (ce qui peut prouver sa qualité ou son aspect 'nécessaire').


https://zogarok.wordpress.com/2018/06/25/call-me-by-your-name/

Zogarok

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