Cannibal
5.5
Cannibal

Film de Marian Dora (2006)

Attention, cet article dévoile tous les aspects scénaristiques du film. Ceci ne devrait a priori rien gâcher dans la mesure où les faits exploités dans le film sont connus du grand public, mais vous êtes néanmoins prévenus.

Marian Dora a réalisé le premier film s'inspirant du fait divers où le fameux "cannibale" allemand déposa une annonce sur Internet où il invitait un volontaire à venir se faire dévorer. La chose s'est faite, a été filmée, puis le gentil monsieur a été emprisonné.

J'attendais beaucoup de ce film en lisant les différentes critiques qui fleurissent sur le net. Le résultat est en fait assez mitigé. La première partie du film rivalise d'échecs, montrant une direction d'acteurs ratée. Le jeu des deux protagonistes est très théâtral voire carrément ridicule. J'ose espérer que la version Anglaise que j'ai vu n'est pas la version originale, car les voix sont la plus vilaine illustration de ce constat.

On assiste également à des scènes romantiques entre les deux hommes qui n'auraient pas tellement fait tâche dans les années 40. Les deux hommes rient gaiement en mangeant des gâteaux secs ou un croissant... Ces scènes sont accompagnées d'une musique romantique au piano assurément inspirée de la bande-son de Nekromantik. Hors, si dans le film de Butgereit le décalage fonctionne parfaitement et la musique nous reste en tête, celle utilisée ici est insipide à souhait.

On assiste aussi à de nombreuses scènes sexuelles entre les deux hommes, pas vraiment érotisantes, où le grotesque pointe même le bout de son nez avec des samples de chevaux durant une scène de sodomie.

Cette première partie décrivant la recherche pour le cannibale de sa première victime peine donc à convaincre, mais la seconde partie du film est bizarrement d'un tout autre acabit, comme si c'était sur celle-ci que le réalisateur avait basé tous ses efforts.

La seconde partie décrit le passage à l'acte, où le cannibale va couper le sexe de sa victime, en faire son déjeuner, puis va jouer avec le corps jusqu'à la mort de la victime, puis encore après.

Ces événements sont décrits de manière extrêmement crédible, non seulement de par la technique sans faille (les effets gores sont tout simplement parfaits) mais également par la description du cheminement du personnage principal.

Ce dernier vit depuis longtemps avec le désir de passer à l'acte, de dévorer un autre être humain. Mais il est quelqu'un de très renfermé, de timide, et a du mal à se laisser aller à ses pulsions meurtrières devant sa victime encore consciente. Après plusieurs échecs, il finit par arriver à "se lâcher", et à sectionner le sexe de sa victime consentante. Il le cuisinera et le mangera avec la victime, mais visiblement, il n'est pas encore prêt à assumer physiquement ses actes et est pris de dégoût.

Ensuite, il accompagne l'homme dans son agonie, se prenant de passion pour ce corps mutilé, durant plusieurs scènes dévoilant un jeu d'acteurs bien plus riche et crédible.

La mort est décrite de la manière la plus explicite qui soit. Le corps se vide de tous ses fluides corporels, se raidit. Je n'avais encore jamais assisté à tant de précision dans la description visuelle de ces étapes, hormis dans certaines œuvres littéraires, dont les romans de Poppy Z. Brite notamment.

Au fur et à mesure de l'agonie de l'homme, le cannibale se découvre totalement, s'épanouit enfin dans sa condition de pervers, devient plein d'assurance là où il paraissait extrêmement limité auparavant.

La dernière étape du film où il vide, découpe le corps, découvre le contact de la chair, des entrailles, de la mort (à la manière de Nekromantik encore une fois) montre tout le talent du réalisateur à manier les images morbides et le gore sans une once de grotesque cette fois.

L'ambiance générale du film est soutenue par une photographie très "allemande" et très glauque, comme si la bobine avait été trempée dans une bassine de vomi, un peu comme dans la trilogie Danoise Pusher. Les teintes dominantes sont le jaune et le vert, esquivant le rouge du sang mais pas la morbidité.

Des effets de fumée très "Hammer" sont souvent utilisés, d'un très bel effet. Les décors sont très travaillés, le sens du détail est remarquable. La bande-son est aussi irrégulière que le film en revanche. La mélodie au piano est insipide, mais le reste, plus ambient, fonctionne parfaitement.

Au final on assiste donc à une œuvre irrégulière. La première partie est souvent risible, tandis que la seconde est absolument parfaite. On assiste quasiment à la naissance du protagoniste, limité jusque là dans son expression de l'amour de la mort (il est autant nécrophile que cannibale), et totalement épanoui à la fin.

La relation "charnelle" prend ici tout son sens avec la rencontre de ces deux hommes, dont la victime est parfaitement consciente et consentante, poussant l'autre à aller jusqu'au bout. A moins d'être un habitué de ce genre de cinéma, il y a de grandes chances que vous souffriez beaucoup de cette expérience très visuelle.
cramazouk
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le 9 juin 2013

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