Cape et poignard n’est pas le premier film anti-nazis de Fritz Lang : il apparaît chronologiquement après Chasse à l’homme, Les bourreaux meurent aussi et Espions sur la Tamise. Sa mise en scène est plus rigoureuse que spectaculaire et son récit alterne, en les sublimant rarement et de manière quelque peu rectiligne, les intrigues d’espionnage et les parenthèses romantiques. Il serait pourtant malvenu de bouder ce long métrage certes mineur, mais aux qualités évidentes. Prenons Gary Cooper : il incarne le Professeur Alvah Jesper, dont l’héroïsme tient plus de l’éthique – et dans un premier temps de la maladresse – que du charisme ou de la puissance. À lui seul, ce personnage finement caractérisé porte une réflexion anti-nucléaire encore rare à l’époque, puisqu’il condamne les activités scientifiques privilégiant la destruction plutôt que le progrès.


Le film propose nombre de jeux doubles ou de miroirs. Il nous épargne les péripéties invraisemblables, les retournements de situation douteux et les deus ex machina. Il préfère donner une stature pré-hitchcockienne à son héros (l’individu ordinaire plongé dans des situations extraordinaires) ou faire comprendre, à travers l’une ou l’autre tirade, que les chats servent de repas en temps de guerre ou qu’une résistante italienne paie de son corps pour manipuler les nazis ou gratifier les parachutistes anglais. Cape et poignard se permet même quelques séquences mémorables : une fusillade, une planque à l’arrière d’un camion, une longue scène romantique, le recrutement d’un éminent physicien, une lutte à mort… Les dilemmes moraux s’imposent à plusieurs protagonistes : une scientifique hongroise se met au service des nazis pour que ces derniers ne fusillent pas ses compatriotes ; un savant italien fait de même, malgré lui, car sa fille est retenue en otage…


Au-delà de la grande Histoire, celle de la Seconde guerre mondiale, des espions, des résistants et du détournement de la science à des fins militaires, Fritz Lang écrit ou revisite sa propre histoire : en complétant un cycle anti-nazis, en s’adonnant à l’auto-référence avec un ballon rebondissant sur des escaliers (clin d’œil à M le maudit) ou en offrant à Gary Cooper un rôle ambivalent de protecteur vulnérable.


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Cultural_Mind
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le 14 oct. 2019

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