Power to the people ! Stick it to the man !

Mais changez-moi ce titre, par pitié ! Il n'est tellement pas à la hauteur de la beauté de ce film, il reflète si peu la pertinence de sa réflexion : je trouve vraiment dommage de leurrer les spectateurs ainsi.


Que d'émotions, mes aïeux ! Dès le début, nous sommes pris au cœur de cette joyeuse tribu anti-système, une équipée familiale pleine de gaieté emmenée par un patriarche charismatique, qui éduque seul ses 6 enfants au beau milieu d'une forêt. La première scène est d'ailleurs celle d'une initiation tribale : le fils adolescent doit chasser seul le gibier afin de faire mourir l'enfant qui est en lui et accéder à l'âge adulte. Une passage de relais entre père et fils qui filera l'ensemble de l'oeuvre.


J'ai craint une vague new age un peu trop clichée, un discours hippie-communautaire entendu mille fois.. Et puis en fait non. Enfin si, mais pas complètement. Ce film est rarement là où on l'attend et, pour une production américaine, ce détail m'a drôlement surprise. Le soir venu, la famille se réunit autour du feu, chacun un livre de philosophie ou d'astronomie à la main (dès leur plus jeune âge), le père est en charge de leur (très inconventionnelle) éducation et autant dire qu'elle est un tantinet plus exigeante que le système scolaire classique. Cet aspect du film occasionne sans doute les scènes les plus drôles de Captain Fantastic : voir une petite fille de 8 ans réciter d'une voix flûtée le Bill of Rights ou un ado jouer le prédicateur catholique acharné face à un flic dépassé est absolument irrésistible.


Bien sûr, rien n'est vraiment vraisemblable dans tout ça et l'ensemble verse un peu trop dans l'excès de romanesque, mais que c'est beau, que c'est touchant, qu'on s'attache à tous ces personnages brillants et si libres ! Esthétiquement, c'est une réussite totale. Le grain doré de la photographie magnifie visages et chevelures, on est hypnotisés par la majesté des paysages, par la chaleur solaire de chaque couleur : une véritable déclaration d'amour à la nature et au vivant.


A la faveur d'un tragique événement, la tribu se lance dans un road-trip, un pèlerinage symbolique qui poussera les personnages dans leurs retranchements, en les interrogeant profondément sur les valeurs de la vie, le prix de la liberté, le sens de l'engagement philosophique. Le pater familias et ses enfants se réclament d'un seul Dieu (vivant) et se placent sous son patronage spirituel : Noam Chomsky, célèbre linguiste et philosophe américain, considéré comme un dissident allergique à la pensée et au système dominants.J'ai aimé ce message à contre-courant, l'alternative philosophique que propose ce film, la profondeur des convictions des personnages, le bonheur qu'ils trouvent dans leur singulier mode de vie.


Particulièrement intéressant aussi le refus systématique du père de mentir à ses enfants.


Même aux plus jeunes, il choisit de dire la vérité : leur mère s'est donné la mort en s'ouvrant les veines.


L'euphémisme ne fait pas partie de ses valeurs éducatives : ce père s'adresse à ses enfants comme à des adultes intelligents et raisonnables, les poussant à être les plus précis possible dans leurs argumentations. Enfin, leur apprend à penser vraiment, ne jamais se satisfaire de la facilité d'une réponse tout faite.


Sans vouloir révéler les rebondissements d'un scénario aussi poignant qu'irréaliste, je dirais qu'il est un peu question dans Captain Fantastic de donner vie à l'abbaye de Thélème de Rabelais : un endroit vrai et préservé, en communion avec la nature, où l'individu - naturellement porté vers le bon - cultive son intellect et organise sa journée selon son bon vouloir sans aucun entrave ou contrainte.


On trouve donc dans cette production américaine une réflexion intéressante et assez subversive sur les miroirs aux alouettes de la société moderne, qui ne fait que nous éloigner de la vérité et du bonheur, en nous proposant des succédanés d'épanouissement et de divertissement.


Tous les acteurs crèvent l'écran de leur jeunesse et de leur fraîcheur, les répliques fusent, les dialogues entre le père et sa progéniture sont souvent très drôles, toujours sagaces et bien sentis. Les quelques phrases qu'adresse le père à son fils à l'aéroport sont un véritable programme de vie et l'occasion d'un instant bouleversant qui fait réfléchir au sens de la paternité et à la transmission.


Et puis : Viggo Mortensen quoi.


Avec ou sans barbe, la pellicule semble être sa maison. Il s'y déploie avec une intensité folle, sans même souvent avoir besoin de mots, juste avec le bleu de ses yeux et ce visage taillé à la serpe, bûcheron barbu ou imberbe danois : cet acteur est à chaque fois d'une justesse incroyable.


Parlons tout de même de la bande-originale, et notamment de ce concert hallucinant que nous livre la fratrie à l'occasion de l'une des plus belles et déchirantes scènes du film : ce joyeux bûcher, cette célébration de la mort, magnifiée par les voix et la musique des frères et soeurs. Un discours totalement à contre-courant de la noirceur occidentale, des tenues ténébreuses portées aux funérailles, des larmes versées sur les corps disparus : ici, tout est fête, sourire, légèreté, humour, hommage, amour. On est loin du sentimentalisme larmoyant auquel nous ont habitués les drames à l'américaine.


Même s'il pêche parfois par trop d'invraisemblances dans l'exposition de ses convictions, que l'image d'Epinal est un peu trop belle pour être vraie, Captain Fantastic reste un feel-good movie éminemment sympathique, intelligent, attachant et drôle qui ne peut, par les temps troublés qui sont les nôtres, que nous faire un bien fou.

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le 5 nov. 2016

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