"La paix de la forêt est une paix de l' âme. La Forêt est un état d' âme" disait Gaston Bachelard. Au sein de la forêt profonde, loin du monde social, où la nature est maître, l' Homme médite, l'Homme imagine puis raconte ; il y invente des contes féeriques et des fables qui sont sont souvent des odes à un monde sauvage préservé qui rappelle à l'humain sa relation à la Terre. Cette forêt profonde lui remémore son mode de vie primordial et ancestral dans lequel l'Homme est soumis aux moindres caprices de la Nature mais aussi aux moindres de ses bienfaits. Elle instaure une atmosphère propice à l'évasion, à la créativité où le temps long est de mise. La Forêt telle une muse est inspiratrice de l'âme.


C'est sans doute pour ces quelques raisons que Ben, ce Père par excellence, a emmené sa famille dans ce refuge forestier et éduque ses enfants selon une initiation certes dure mais saine et formatrice. Plus que des principes, plus qu'une éducation, Ben veut leur inspirer un certain état d'âme que seule une vie loin de la Modernité pourra leur fournir. Car si la forêt est inspirante la Modernité l'est aussi, mais dans un sens différent. Ainsi pour s'en protéger, seule la fuite est possible mais elle ne se fait pas sans concessions. Ben va ainsi astreindre ses enfants à un rythme de vie basé sur l'effort physique, intellectuel et spirituel. Une vie équilibrée entrecoupée de rites initiatiques, d'esprit païens, signifiant la fin d'une période de l'existence. C'est ce que l'on peut constater dès le début du film lorsque l'aîné tue un cerf et mange son cœur. Toute la Famille ou la tribu assiste ainsi à l'émergence d'un nouvel être, à l'apparition d'un Homme véritable.


Cette vie authentique offerte par Ben à ses enfants est impossible au sein de la Modernité du XXIe siècle. Cette dernière, où la matière règne, où la consommation est érigée en système de valeur, où l'artificialité autant dans les rapports humains que dans l'environnement est partout, ne peut être un endroit propice pour élever des Philosophes Rois. Pourtant Ben, en compagnie de ses enfants, va devoir quitter son jardin d'Eden (ou sa République miniature) pour assister à l'enterrement de sa femme. A partir de là le film nous présente deux conceptions du monde qui se confrontent de manière explicite. Ainsi lorsque Ben est chez sa belle sœur, deux visions de la Famille se font faces, présentant des valeurs différentes liées principalement à l’environnement dans lequel elles ont évoluées . On nous montre là les conséquences désastreuses de la Modernité sur le comportement, le savoir, les références des enfants et sur les liens familiaux. Autrement dit comment s'est concrétisé l'idéal américain de l’hyper-consommation au sein de cette structure traditionnelle. D'autres thèmes sont abordés comme la spiritualité où le monothéisme protestant fait face à une philosophie de Vie que l'on pourrait qualifier de païenne (à noter que Ben porte à son coup le "Marteau de Thor", symbole important de la mythologie scandinave). Cela va être l'occasion de scènes sympathiques comme celle au sein de l'Eglise, mais aussi de réflexions intéressantes sur la Mort.


Toutefois, malgré cette très bonne initiation que Ben a délivrée à ses fils et filles, un problème se pose. Celui de l’équilibre entre la vie dans la Cité et celle en dehors ; question symbolisée principalement par l'aîné. Il devient alors évident pour ce Père que ses enfants ne peuvent rester constamment éloignés du monde social. Cette escapade dans la Modernité va être ainsi l'occasion pour Ben de mettre en doute tout ce qu'il a entrepris. C'est là ou le film est intelligent et fait évoluer le personnage avec subtilité même si des facilités scénaristiques viennent ternir quelque peu la chose. Mis à part ça et une fin qui aurait pu être un peu plus ambitieuse, ce film est une réussite. Il parvient sans difficulté à faire passer son message, notamment par le biais d'un protagoniste charismatique et subtil incarné par un très bon Viggo Mortensen. Il pose de bonnes questions sur la société de consommation américaine, sur la religion, la spiritualité, et plus globalement sur notre rapport à la Terre , tout en nous faisant suivre une famille sympathique et attachante. En somme un très bon film philosophique et parfois poétique, qui nous met en garde sur certains aspects de notre monde prométhéen.

Nerlim
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le 24 janv. 2017

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