Carne
Carne

Film de Armando Bo (I) (1968)

nov 2010:

Mignardise argentine, cet étrange funambule s'esquinte les arpions sur un filin ténu tendu entre la peinture aride d'une banlieue très pauvre, ouvrière et charnelle de Buenos Aires et le suspense poussif, érotique et complaisant, tenté par les scènes salaces où les protubérances mammaires de la voluptueuse Isabel Sarli servent d'appel au zizi tout dur. Une sorte de Russ Meyer pasolinien. L'accroche est osée, claro que si! Mais c'est vrai que les terrains vagues, les égouts à ciel ouvert, les tôles ondulées, les décors rêches et vides, la sécheresse des lieux m'ont fait penser à ceux qui entourent Accattone. Certaines gueules patibulaires et lubriques qui bavent sur l'échauffante plastique de Sarli rappellent celles que Pasolini aimait à orner ses films. Populacière, cette petite production dégage une pauvreté de moyens que la VHS pourrie sur laquelle je suis tombé accentue sûrement l'effet. L'Argentine est un pays largement influencée par la culture italienne : certains comédiens sont sans doute d'origine italienne et en donnent une teinte supplémentaire. Les mains causent. Il émane du film quelque chose très volubile. Des bavardages sans mot qui ne sont pas désagréables, très chaleureux.

Le tango n'est pas toujours présent à bon escient. Par moments cela peut fatiguer de l'entendre sans qu'une cohérence s'en dégage. Mais au contraire, deux ou trois petites intermèdes musicaux donnent tout l'étendue du pouvoir de cette enivrante musique. Elle fouille, elle triture, elle crie. C'est beau. D'une beauté exotique qui n'est pas pour me déplaire.

Certes, Alba Solís, sosie présumée de Marlène Dietrich, manie bien son timbre pour nous impressionner. Sa participation a tout de l'artifice pour la promo de son dernier disque, mais finalement, cela contribue à renforcer cette drôle d'aventure patchwork, bougrement loufoque sans être trop farfelue où les vignettes érotiques paraissent tout droit sorties d'une série Playboy et avoir été rajoutées sans lien avec l'histoire, juste pour remplir le quota "nibards".

En effet les formes incroyablement généreuses de l'actrice principale (Isabel Sarli) sur lesquelles Armando Bo jette son dévolu de manière très artificielle accentuent la température de l'atmosphère. Très belle femme, son jeu reste un peu faiblard, mais ceux qui l'accompagnent ne font guère mieux. Là aussi, la médiocrité de moyens se fait salement sentir et rappelle les approximations ou l'amateurisme des distributions pasoliniennes.

Il convient tout de même de bien être clair sur les intentions du film. On est très éloigné des ambitions poétiques, intellectuelles et politiques de Pasolini. Les ressemblances ne s'en tiennent qu'à la forme. Et encore... plus ou moins. Il s'agit ici de capitaliser sur le physique de la belle Sarli, de lui faire passer un maximum d'hommes sur le fessier, de la façon la plus dégradante possible, comme une pute de chantier, à l'abattage, dans une sorte de tournante en camion. Mais j'avoue que le parallèle sanguinolent et carnassier qui est fait sciemment par Armando Bo entre la sensualité charnelle de cette bonita et la rudesse des plans sur les morceaux de viande débitée dans les abattoirs est une initiative débordante de bon sens en même temps que de provocation. Pas con. En tout cas, c'est amplement justifié et démontre que derrière le crapoteux, la complaisance affichée, le cinéaste fait preuve d'un certain recul sur sa production.

Au final, j'ai bien aimé ce petit nanar. Les halètements et soupirs des personnages faisant l'amour en slip et bouche cousue sont croustillants de nullité. L'absence totale de talent scénique de certains comédiens fait le reste. On s'amuse. On se moque devant l'exotisme et la médiocrité que le film dégage. Cheap, rose, vif, rare, autant de qualificatifs qui justifient de le voir.
Alligator
5
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le 15 avr. 2013

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Alligator

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