Carnosaur
3.6
Carnosaur

Film de Adam Simon et Darren Moloney (1993)

Faire revenir le passé pour mieux évoquer la folie des hommes

Sous ses airs de petite production de vidéoclub, Carnosaur se révèle bien plus surprenant qu’attendu, critique sanguinolente et acerbe d’un monde devenu fou.


Avec l’avènement du prochain gros succès signé Steven Spielberg et Michael Crichton (sur un jurassique parc), les compagnies de séries B, toujours le nez dans le bon sens du vent, sentent bien qu’un filon préhistorique est à déterrer en cette année 1993. Sans être certain de la direction prise par Jurassic Park, les deux artisans du vidéo club rayon B que sont Charles Band et Roger Corman vont produire deux films bien différents. Le premier avec Prehisterya ! est un film familial proche d’E.T., Carnosaur lui est un film de monstres bien sanglant.


Carnosaur a été lancé pour profiter de la campagne marketing de Jurassic Park, il sort un mois avant. Il fait même un beau coup dans le casting en conviant Diane Ladd au casting, la mère de Laura Dern qui fait partie des personnages principaux du film de Steven Spielberg. Une réplique fait même explicitement référence au futur mastodonte, gardée pour la dernière scène de la bande annonce. Carnosaur sera un beau succès, décliné en plusieurs suites et spin-offs.


Série B évidente, le film d’Adam Simon l’est assurément dans son histoire, où des dinosaures crées génétiquement s’échappent bien vite des laboratoires d’un grand groupe alimentaire, la Eunice Corporation, pour causer la pagaille auprès des humains. Bien loin de Jurassic Park et de son moustique magique, l’explication de ce retour sauropside se fait grâce au croisement d’ADN avec… des poules.


Scientifiquement, cela peut se tenir, les oiseaux constituant une branche des dinosaures qui ont survécu, mais le fait d’utiliser un élevage de poules comme berceau de créatures monstrueuses étonne et amuse.


Par la suite, le film utilisera une autre piste en propageant une épidémie notamment auprès des humains qui ne respectent absolument pas les gestes barrières (toux à s’en décrocher les poumons sur du petit plat en restaurant et éternuement énergique sur du collègue, beurk).


Manipulations génétiques et épidémiques sont donc au programme de ce film qui va laisser échapper sa première créature, un deinonychus, aux dents bien acérés. Il y a des morts, et du sang, ça ne rigole pas. Doté d’un budget confortable pour une production Corman, l’équipe technique a pu offrir une bestiole crée pour les besoins du film, en mousse, latex et polyuréthane. La bête est assez crédible, les écailles sont bien rendues, mais les animations sont encore un peu raides, devinant parfois les mouvements contraints des marionnettistes. Et cela se voit d’autant plus que Carnosaur est bien fier de montrer sa création sous tous les aspects. La comparaison avec Jurassic Park pourrait être cruelle, mais il faut lui reconnaître du travail bien fait dessus malgré des ambitions différentes.


La réalisation ne fait d’ailleurs pas des étincelles, très opérationnelle, sans grandes prétentions. En y ajoutant un montage un peu précipité et trop découpé, pour suivre les différentes personnes impliquées autour de l’histoire, Carnosaur ne captive guère le regard du spectateur, à peine émoustillé par quelques scènes plus sanglantes.


Et pourtant, à mesure que le film avance, ce qui n’apparaissait alors que comme une petite farce innocente développe de plus en plus de nouvelles idées.


Dès l’introduction, un petit malaise s’installe, avec d’authentiques images de poulets tués et maltraités dans un élevage industriel, qui ferait hurler de rage l’association L214. Mais étant donné que le film présente en insert texte et en voix off ses expériences à base de mélange d’ADN de poules et de différentes espèces, autruche, iguane et vautour notamment, le ridicule de l’idée de la poule mère des dinosaures s’oppose au malaise des gallinacés exploités sur cette chaîne industriel.


Par la suite, d’autres éléments s’ajouteront, pour former un arrière-plan peu réjouissant, entre les manipulations des grandes entreprises, qu’elles soient alimentaires ou génétiques (ou les deux), mais aussi l’arrogance de ces grands groupes et du service fédéral qui va prendre en charge les retombées de ce désastre de dinosaure.


Doc Smith (joué par Raphael Sbarge), le personnage principal est un gardien de chantier, un alcoolique notoire, qui n’attend plus rien de la vie. Il sera contrarié puis amusé par l’arrivée à ses côtés d’activistes et notamment de la belle et militante Trush (Jennifer Ruyon) qui veulent en découdre avec les ambitions écocides de la compagnie Eunice.


Que la responsable de l’arrivée de ces dinosaures sur le sol actuel puisse s’expliquer longuement par la suite sur ses intentions avec le Doc sans qu’il ne cherche à contredire ses arguments en dit long sur les intentions du film. Que les dinosaures en viennent à réduire en charpie les humains tandis qu’une épidémie étrange frappe ceux des environs n’est que la conséquence de la folie des hommes, prêts à ravager la nature pour leurs installations, à modifier les ADN pour leur convenance mais aussi à mentir et à tricher pour conserver leurs intérêts.


La conclusion est d’un cynisme noir, une reprise en main qui n’arrange rien et qui attribue un sort bien regrettable, le plus souvent cruels, à des personnages appréciables.


Carnosaur vient donc rappeler que le cinéma d’exploitation peut s’emparer de sujets de société importants, ici la main-mise des grandes compagnies sur la nature et l’alimentation, les manipulations génétiques, le cynisme politique, pour offrir une série B où derrière les griffes et les dents des dinosaures il y a d’autres monstres à visage humain. Dommage que les coutures du film de série B soient un peu trop apparentes, que le film soit parfois un peu maladroit et pas aussi assuré qu’il aurait dû l’être, sinon Carnosaur aurait pu être ce qu’avait été le Robocop aux films de cyborgs, une œuvre maîtresse, cynique et miroir des dérives notre monde.

SimplySmackkk
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le 7 oct. 2022

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