Carol
6.9
Carol

Film de Todd Haynes (2015)

Les mystères de Cannes sont impénétrables. Comment expliquer que le jury soit resté insensible à deux des films les plus touchants de cette édition pour lui préférer un revenge movie d'auteur bancal? Pensait-il qu'il faille obligatoirement s'emparer d'un sujet d'actualité pour être digne du plus important prix du cinéma mondial? C'est l'hypothèse la plus probable mais aussi la plus discutable. Nanni Moretti et Todd Haynes n'en ont cure, eux qui ont bien compris que L'Amour et la Passion restent universels et intemporels.


L'américain s'est fait une spécialité des mœurs immorales et des époques corsetées. 13 ans auparavant son "Loin du Paradis" brocardait la ségrégation raciale et les us et coutumes d'une nation US prospère qui cachait en son sein tous les vices de la Grande Bourgeoisie.Homosexualité masculine refoulée et mégères apprivoisées y cohabitaient tant bien que mal dans un univers aseptisé. Évitant la répétition facile il réitéré le cadre des classes supérieures mais assume un coté romanesque plus feutré. La rencontre des deux femmes aux antipodes l'une de l'autre se fait par contraste. La première est aussi pimpante et extravertie que la seconde est dépareillée et effacée. La fastueuse grande tige vit dans le luxe de l'apparat tandis que sa future conquête travaille dans un magasin de jouets sous les ordres d'une acariâtre patronne. C'est une possible explication de l'attirance que se voue rapidement les deux femmes , les forces contraires s'aimantant pour ne plus faire qu'une comme l'assure un fameux adage. Mais le film ne s’arrête pas à cette seule piste et développe une palette de sentiments beaucoup plus large.


Car les hommes ne font pas figure de simples silhouettes fantômes, dont les cœurs seraient totalement étrangers à cette valse pulsionnelle. Ils incarnent un spectre de l'amour certes égoïste mais sincère dont la maladresse et l'emprise étouffent ces nouvelles pasionarias. Serait-ce alors une liberté rédemptrice qu'elles saisiraient à bras le corps? La encore la plausibilité existe, mais Haynes se garde bien d'en établir la certitude. Carol, en pleine procédure de divorce, s'accroche de tout son être à sa petite, seul lien encore tangible avec son ex-mari. Et celui-ci, soucieux du qu'en dira t'on, fait tout son possible pour remmener son épouse à raison gardée. Indiffèrent à la solitude de celle qu'il a aimé, pense t'on. Nous n'en sommes plus si surs après quelques séquences marquantes. C'est toute l'intelligence du cinéaste que de jouer au Cluedo amoureux pour mieux narrer l'incertitude incessante de la relation. Thérèse pour sa part consomme sa liaison avec une jeune homme sans réellement s'engager. En attente d'une preuve qui ne ferait pas d'elle un simple trophée de plus, elle capture par l'appareil photo des mouvements de vie volée. Une existence par procuration qu'elle s'échine à décliner pour ne pas s'oublier. Sa dulcinée la renvoie t'elle à un ailleurs envisageable? Se ment elle par nécessité? Nul ne sait.


L'alchimie ne s'explique pas, comme le lui rappelle judicieusement cet ami journaliste dont elle s'entiche un temps. Il faut tenter de vivre l'instant présent sans se poser trop de questions, sous peine de passer au travers d'une occasion unique et de péricliter sa destinée pour en sceller l'échec malheureux. Ne reste alors que les étreintes sensuelles et les regards langoureux pour s'adonner pleinement à cette fièvre enivrante. La séparation forcée des éplorées ne durera qu'un temps et les retrouvailles finales, en un superbe plan symbolique sur les visages radieux, se donne moins à voir comme un happy-end mielleux que comme une évidence que les passions restent éternelles. Cate Blanchett est une reine gracieuse que le trône vacillant n’empêche pas la force de caractère de se sublimer. Femme fragile, mère battante et amante empathique elle évolue constamment sur une corde raide mais garde toujours un équilibre parfait. Le prix d'interprétation lui allait comme un gant. Il échoit à la surprise générale à sa partenaire Rooney Mara. Bien que sa prestation soit moins remarquable, elle réussit néanmoins à en tirer le meilleur parti pour donner le change à l'australienne. Un moindre mal e quelque sorte. Les seconds rôles sont de parfaits camarades de jeu et accompagnent comme il se doit la partition des deux stars. Mention spéciale à Kyle Chandler, époux délaissé très à l'aise et éternel second couteau du cinéma et de la télé américaine. Quand au réalisateur, rien n'aurait été possible sans la finesse et l'élégance de sa mise en scène. Il sait épurer au maximum les sentiments diffus de ses protagonistes pour en révéler l'ouverture d'esprit. Tout en fondus-enchainés il se tient à parfaite distance de ce qu'il regarde et n'hésite pas à habiller d'une touche sophistiquement rétro ses mouvements de caméra simples. Cela sied parfaitement au genre. Ce très beau mélo lui doit beaucoup également, grâce lui en soit rendue. Probablement en haut du futur top 5 de fin d'année.

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le 14 janv. 2016

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