Une merveille de film, et un double voyage passionnant dans l'Inde des 20's et des 80's

Ca commence dans les 80's, avec la très classieuse Julie Christie qui enquête sur l'histoire de sa grande-tante qui avait vécu dans l'Inde coloniale des années 20, et par qui le scandale était arrivé.
Elle avait en effet quitté subitement son mari, fonctionnaire britannique, pour disparaître dans l'oubli avec un Prince indien aussi inquiétant qu'énigmatique.

Pour cela, elle récolte le témoignage d'un individu (plus ou moins bien) grimé en vieillard à la "Little Big Man", qui lui était contemporain, pour essayer d'en apprendre plus sur son histoire, et mener l'enquête.

Et rapidement la chronologie du film éclate dans une complexité folle, d'une part l'histoire des années 20 vécue par Greta Scacchi (Olivia) ladite grande-tante, qui arrive aux Indes et essaye d'y trouver sa place, dans un rôle rappelant celui qu'elle tiendra quelques années plus tard dans l'immonde film de Radford, "Sur la route de Nairobi", qui m'avait donné envie de me tailler 10 fois les veines, tant il était lourd, imbuvable et sans intérêt, et où finalement il s'agissait ni plus ni moins que de la même chose, puisque c'était des britanniques et le détail de leurs vies ma foi peu passionnantes dans un cadre colonial (le Kenya).

Film que j'avais dû subir, parce que j'avais décidé de regarder tous les films de 1987 dont je disposais, et qui se situe très bas dans mon classement général : http://www.senscritique.com/liste/Top_films_1987_hors_films_francais/192628

Bref c'est là où on voit clairement la différence, quand aux manettes on a un réal (James Ivory) et une scénariste ( ne pas éternuer Ruth Prawer Jhabvala) de talent.

Et donc cette histoire située dans les années 20 est à la fois racontée par le vieil ami, mais aussi par des lettres retrouvées et écrites par Olivia, et par l'investigation de Christie elle-même qui part à son tour pour les Indes suivre les traces de son ancêtre et pourquoi pas tenter de revivre la même aventure ?

Et ce qui est intéressant justement, c'est que le personnage de Christie vit par lui-même sa propre aventure, finalement bien distincte (même si des éléments importants sont communs), dans un film presque à part entière !

On a comme ça un parallélisme foisonnant entre les deux histoires, qui s'enchaînent avec une fluidité, une limpidité absolument remarquable, alors que dans le fond c'est très compliqué à détricoter. Un vrai modèle d'écriture, et de montage (qui m'a rappelé la finesse d'un Mahler de Ken Russell par exemple, dans cette façon très subtile d'alterner entre passé et présent sans même s'en rendre compte).

Dans l'aventure des 20's, il y a ces jeux de pouvoir constants entre les britanniques et les princes indiens locaux qui se ressentent jusque dans les processions religieuses et cérémonies exotiques, ou même les scènes de repas.

Et puis il y a ce Prince indien, interprété par un acteur de génie que je ne connais absolument pas, Shashi Kapoor, une sorte de Karl Lagerfeld hindou, que ce soit dans la voix et l'accent anglais, ou même dans les traits physiques (bon je délire peut être : http://image.noelshack.com/fichiers/2013/24/1370957766-shashi-lagerfeld.png mais si on lui teint les cheveux en blanc, et si on lui rajoute les lunettes noires, je suis sûr que ça le ferait).

Il dévore l'écran par son charisme, par la richesse de son personnage, son côté vicieux, vaguement tyrannique (les anglais le soupçonnent tout le film de diriger en sous-main des groupes de bandits qui pillent les villages), drôle, et qui va vivre une histoire d'amour improbable avec Greta, ce qui donnera lieu à des séquences d'une poésie rare (je pense notamment à cette merveilleuse séquence de jeu de chaises musicales à l'air libre).

De l'autre côté les anglais, sont pour beaucoup vaguement sinistres (on y retrouve même subrepticement Julian Glover, le méchant d'Indiana Jones 3), vaguement racistes (mais pas tous, le film n'est pas manichéen pour un sous, et largement plus subtil que ça), cyniques, méprisants, hautains, mais aussi captifs (l'ami qui raconte l'histoire notamment est sous l'emprise du Prince).

Et au fond une réelle mélancolie irrigue ce récit-là, dans un univers hostile, dangereux (il ne faut pas boire n'importe quelle eau, faire attention aux aliments, la chaleur est terrible et peut conditionner les "mauvais" comportements, les tempêtes sont dantesques, et le cadre violent avec ces bandits et soldats qui s'entretuent) et cette solitude finale où l'héroïne quelque part se dissout, ni britannique, ni indienne..

Et aussi une découverte culturelle passionnante, une invitation au voyage et au dépaysement comme dans le magnifique "un thé au sahara" de Bertolucci. J'ai découvert des trucs qui m'ont stupéfait (voire fait flipper), comme les Hijra qui ne sont ni hommes, ni femmes...

Dans l'aventure des 80's, Christie visite comme une touriste cette Inde éternelle, où si les individus et les moeurs ont évolué, et la mixité à peu près admise, le cadre, le décor restent inamovible.
Elle rencontre, en marge de son enquête, un lot de personnages hyper attachants, et une pléiade d'acteurs formidables, dont cet américain farfelu (l'inconnu Charles McCaughan, dont les facéties me resteront longtemps en mémoire), vaguement fou, un peu pervers sexuel, qui s'est converti aux joies de l'hindouisme..

Il ne s'y passe dans le fond pas grand chose, le récit prend tout son temps à démarrer, mais c'est suffisamment fin, intelligent, subtil, naturel, simple, et drôle pour accrocher de bout en bout (et si rare de trouver enfin un vrai bon film d'actrices) et de boucler sur un générique rappelant à quelle point la BO du film était de superbe facture, une musique où des synthés électroniques et instruments indiens finissent par s'accorder avec grâce :
http://www.youtube.com/watch?v=NVXEL2hP1ts&feature=youtu.be

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le 11 juin 2013

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KingRabbit

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