Le pervers en moi accroche un peu, le Phénix aimerait Charlie plus curieux et inclusif

L'élection présidentielle française de 2017 a été un tel capharnaüm que Chez nous, film de quasi-militant planqué sous les oripeaux 'citoyens' (et sûrement 'amoureux du débat' ou autres fadaises de faux indéterminés), n'aura jamais eu l'occasion de dominer les unes, ne serait-ce qu'une petite journée. La petite crise ('polémique' est trop sophistiqué pour ce niveau-là) autour de sa sortie prochaine n'en a même pas été une, les cadres du FN s'étant emballé en l'incendiant avant d'avoir assez de matière, quitte à se repentir poliment et timidement par la suite. Ils n'ont réussi qu'à attirer l'attention sur une charge bouffie et mélodramatique à leur encontre, sur laquelle les rares commentateurs 'officiels' auraient dit à peine plus, en France du moins (car selon le réalisateur, le film est passé ainsi d'une « notoriété zéro à internationale »).


Comme sa promotion assurée par Lucas Belvaux, Chez nous est malicieusement hypocrite : il se contente de ne pas nommer le FN, sa cheffe et ses hommes, mais s'y réfère constamment. Ainsi il lui greffe ce qui lui plaît sans craindre de procès de sa part, ou d'avoir à répondre de son opportunisme à n'importe quel observateur pourvu de scrupules autres que ceux animant la formation d'un tel film. La leader du Bloc Patriotique est la fille d'un provocateur (Roland Dorgelle reflète l'inénarrable Jean-Ma' - orphelin de la pucelle d'Orléans) odieusement raciste, elle fait référence à la « fracture sociale » (de Chirac) et à la promesse de « Karscher » (de Sarkozy) lors d'un discours. La commune Hénard est une référence claire à Hénin-Beaumont, ex Hénin-Liétard. Le numéro 2 est un comploteur psychorigide un peu fluet reflétant certains très proches de Le Pen bis (la brigade 'gay' pourfendue par de nombreux puristes à droite du FN). Les convergences avec le Front National ne sont pas juste idéologiques, propres au langage, aux plans récents d'un mouvement, elles concernent aussi l'histoire et les anecdotes du parti. Le film attaque et caricature le FN sur ses affaires, réelles ou présumées, avec les proches et candidats 'boulets' au lourd passif, les lieutenants irréprochables et les braves novices retenus car 'faisant' 'proches des gens'.


Marine Le Pen est salement brossée via le costume sombre de Catherine Jacob – au passage elle se coltine des sous-entendus lesbiens (la patronne du Parti du Progrès en Norvège a subi la même attaque, plus directement). La tendance à l'objectivation par le sommet d'une hiérarchie semble, avec ce film, un fait tout neuf et propre à 'l'extrême-droite', ou alors propre à elle lorsqu'il deviendrait si froid et brutal. Les dirigeants agrègent des dossiers, pour écarter les emmerdeurs et tenir les troupes fragiles. Stéphane, le 'nationaliste-révolutionnaire' ou néonazi apparaît comme la vérité 'primitive' mais embarrassante du mouvement. Philippe Berthier (Dussolier), venu lui mettre la pression, le renseigne à la manière des méchants dans les Disney, Terminator et Harry Potter : « tu n'avais qu'à mettre un costume, regarde [l'autre] l'a fait – changer de stratégie c'est pas changer d'objectif – tu pouvais pas le comprendre ça ? ». Mais comme les hyènes du Roi Lion ils sont débordés par leur violence, qui affectent leurs rapports – Marine Dorgelle-Jacob, charretière à ses heures, sait aussi bien protéger ses ouailles face aux médias (à un Mr Cohen à la radio) que rabaisser ses collaborateurs lors d'une mauvaise nouvelle.


Le film s'en sort toujours en faisant écho, même de loin, aux réalités éprouvées et il lui arrive de frôler 'juste'. Il est dans le vrai avec son défilé de jeunes cadres ou bras droits lissés, énarques ou parisiens parachutés (pour encadrer les potiches quand ils doivent leur céder l'affiche), ou encore avec les candidats prétextes, non-informés, parfois bidons (sur ce dernier point le 'cordon sanitaire' contre le FN est aussi coupable, d'où l'inintérêt probablement d'aller fouiller dans cette direction pour Belvaux et ses troupes). D'ailleurs le FN a subi une vague de défections après 2015, de membres déçus et candidats qui se sont sentis lésés (mais peut-être pas assez pour se laisser exploiter par les médias hostiles au FN, en s'exposant à nouveau – il aurait fallu se défendre pour cet engagement encore douteux en 2017). La petite Pauline est tout près de grossir ce lot, car les déconvenues et autres réveils ne vont pas tarder. Elle est présentée comme une bonne fille qui découvrira ce que sont ceux qui l'ont recrutée ; la véritable nature et l'ampleur des convictions de son amant ; en somme, de quoi elle est entourée, dans son Pas-de-Calais gangrené.


Malheureusement le film se fout de son milieu et ignore les questions sociales, tant qu'elles ne servent pas son message – tout est arraché à soi pour être entièrement retourné vers la politique. Le film évoque l'exclusion, la misère, au début ; l'amie de Pauline fait part de son sentiment no-future, sa sensation que la localité est délaissée, etc – des friandises, quand ce ne sont pas des justifications. Ce qui intéresse Chez nous, c'est juste le côté sombre. On 'tombe dans' le ventre de la bête immonde comme on 'tomberait' dans la délinquance, la drogue, la violence, la pathologie. Et dire qu'une femme bienveillante peut se faire avoir, rendez-vous compte ! Elle est candide, il faut bien le dire – elle met plusieurs semaines pour réaliser qu'elle n'a pas consulté le programme qu'elle est censée porter, ni même entendu ses maîtres le citer. La transformation de l'infirmière restera toujours extérieure (jusqu'à participer au travestissement de la peste brune en peste blonde – aryenne en toutes circonstances) ; en vérité c'est sa bonne volonté qui est absorbée et corrompue.


Au paroxysme de son infâme mais sincère dévotion, elle entonne La Marseillaise avec eux, regard ému porté vers le ciel (on dirait bientôt une patiente exaltée de Martyrs). Mais c'est qu'elle est trop simple, trop à l'aise dans son territoire sordide, bourré d'ignorance et de ressentiments (pas de 'bourré' tout court, comme quoi ce film n'est pas absolument mesquin). On observe cette France périphérique (rattrapée par une autre établie à Nanterre), une gueuse et vieille France, aux goûts 'ringards' et à la culture au mieux télévisuelle. Ils sont tous sur leurs ordinateurs ou derrière l'écran archaïque, la télé, elle encore (le reste est trop moderne et 'intuitif' -et cher ?- pour eux, qui au summum de leur puissance et de leur émancipation auront le droit d'être des victimes à la détresse modérément urgente). Les parents bavent à propos de cette sur-consommation : leurs gosses regarderaient du porno ou d'autres choses qu'ils leur cachent ! Ces autres choses sont anxiogènes, complotistes, parfois même ils les produisent (le site Hénart-Vérité monté par un adolescent – le bout de la rupture avec le réel [réel où le grand remplacement n'existe pas et les menaces sont dérisoires, ou pas celles 'que veulent nous faire croire les fachos'] c'est, après tout, le délire schizophrénique).


Si ces pauvres gens sont si aliénés et mal-pensants, en plus d'être simplement des humains bien primaires, c'est aussi la faute des médias, nous enseigne Chez nous ! En effet, quand le gros peuple se rassasie avec la bonne humeur de Patrick Sébastien, ses ouailles les plus turbulentes, celles qui cherchent à savoir ou simplement sont encore un peu curieuses ou disponibles, se trouvent sous les feux des cracheurs de haine. C'est Zemmour et la propagande frontiste (un tract avec Jaurès est carrément cité – il a bien été édité par le FN, quelques années après la récupération encore plus absurde par Sarkozy) qui pourrissent nos têtes ! Enfin, les leurs, celles de ces gens-là – de bien pauvres gens ; le seul débat possible portera sur eux : sont-ils pardonnables ou pas, victimes ou complices, médiocres de nature, simples ratés ou otages de leurs déterminations – et de la cruauté du néolibéralisme, de la désindustrialisation, de la paupérisation et de l'abandon de zones anti-glamours dès la racine ?


Chez nous est certainement odieux et consternant, jouit de privilèges tels que les agents de l'intelligence mondaine et de l'expertise proprette lui passeront ses fautes quand elles ne les trouveront pas parfaitement fondées. C'est un défonceur de portes ouvertes gueulant tout haut ce que tout le monde est fortement autorisé à gerber (le crétin sous-politisé et le chroniqueur vaniteux en priorité). Tout coule avec une facilité aberrante, dans un tableau noir. C'est la ligne et ça marche (même le 'scénario' est secondaire) ; en terme de psychologie, de vraisemblance, c'est au mieux brouillon et opportuniste (trop d'heureuses concordances, de négligences ahuries). Mais sur le moment, dans le flux, ça fonctionne, à condition d'avoir éteint ses protestations de nature esthétique ou rationnelles (sans parler de ses éventuels penchants idéologiques). C'est à l'image du passage où la reine-blonde déambule sur son estrade : que du gros envoyé à la chaîne. Cela dit, la vraie a démarré le débat d'entre-deux tours ainsi, la chaleur et la rage 'dehors' en plus, l'once de talent et le panache 'naturel' en moins.


Dans ces excès de film de flics condamnant les milices, Chez nous trouve sa vraie réussite. Il donne le plaisir de voir, moins le mal à l’œuvre ou en gestation, que 'la réalité' par un filtre malade. Le filmage se fait hystérique, dès qu'on s'enferme dans une scène avec les membres du FN ou se mêle à des contaminés. L'approche parano (sans entrer dans le thriller, mais avec certains de ses codes) et débordante d'hostilité en fait un spectacle clairement partial, malhonnête, mais fascinant par son outrance et sa détermination – plutôt que séduisant. C'est aussi un documentaire involontaire sur la façon dont le FN et son électorat sont perçus ; en ce domaine aussi, tous les clichés et toute la malveillance sont de sortis. Au point de s'écarter du sujet : le discours de la grosse blonde est bien plus conservateur et identitaire que ce que sortait Marine Le Pen, qui est avant tout une populiste et a jeté son dévolu sur le social. Quand aux courants en marge du FN, c'est une tambouille des 'extrêmes-droites', des skinheads, identitaires, etc ; les courants internes n'existent pas, les refoulés n'en sont pas, les deux seules catégories sont les 'présentables' et les 'non-présentables'. Le coaching des militants est un précis de démagogie, celle de la proximité (« vous êtes comme eux et avec eux » - ce qui est également la base de nombreuses 'gauches' mais peu importe), typée 'populisme' tradi/de droite – la sélection et la musique crispée horrible orientent, mais toutes les couches de subjectivité disponibles collées là-dessus ne métamorphoseront pas les faits en mensonges. Elles montrent simplement que le film est plus pressé de diaboliser et d'instrumentaliser des faisceaux de vérité que de rechercher cette dernière.


Cette préférence pour le réel décrété à celui censé être brocardé s'exprime par tous ces trucs absurdes jetés pour raccrocher les 'fachos', 'réacs' et 'populistes' à la modernité (dans laquelle ils sont effectivement insérés – l'accepter et même le visualiser peut être difficile, Chez nous en donne une énième preuve) : le viral, la photo des roms, le « tu pratiques » pour le catholicisme comme on pourrait s'avouer des façons de s'enfiler. Ces façons de percevoir sont totalement loufoques. Par endroit, il est envisageable que des gens projettent. Ce qui est certain, c'est qu'ils s'expliquent à partir de leurs représentations, qui sont très étroites, minimalistes, infantiles ; parfois, pas plus dégrossies que celles dont se repaît la comédie 'beauf' du dimanche soir. Par là Chez nous permet de réaliser à quel point les gens, même en mesure de s'informer largement, sont ignorants et déterminés à le rester. C'est bien, toujours, l'épouvantail, qui préoccupe les 'citoyens engagés' (qui le sont surtout dans leurs connexions) ; et l'épouvantail ultime reste le FN. Il n'y a pas de surprise et même pire, on s'enfonce dans la caricature assermentée. Ce degré de conformité à l'air du temps, aux sous-analyses labellisées, même si on s'y attend, reste toujours, paradoxalement, surprenant – l'erreur fondamentale c'est de croire, même encore un peu, qu'il peut y avoir des surprises venant des hommes, en meute, parfumés et disposant de carte blanche pour la méchanceté, avec leur 'conscience' figée substituée à un intellect encore en marche, non-couvé/mécanisé.


Chez nous est taillé (et bénéfique) pour les gens qui ont besoin/envie qu'on leur rappellent que le Mal existe et est bien localisé ; il a un visage et une adresse, ceux du FN, avec ses cousins flamands (et ses équivalents européens – mais il n'est pas question d'élever le curseur au-delà de la fosse nord-pas-de-calais ou style Ardennes). Le FN est le paratonnerre de tout ce qui peut exister comme doute, comme questionnement. S'ils sentent un relâchement, s'ils s'inquiètent d'un faits d'actualité ou d'un phénomène criant mais inconvenant, quoique ce soit causant un désordre aux ronrons et aux hiérarchies ambiantes : les 'intègres' ont l'image du FN, la menace, il leur suffit donc de rejeter sur lui et de se reprendre eux, marcher dans le droit chemin. D'ailleurs les signaux 'politiquement incorrect' sont évacués de ce film ou pas reconnus comme tels – lorsqu'il leur arrive de surgir, c'est encore la faute des crypto-nazis ; il y avait une sérénité malgré tout, ils ont souillé cette harmonie des exclus en s'énervant. Ce dédain catégorique et acharné a le mérite de désinhiber les troupes – d'ailleurs certains acteurs se lâchent pour jouer les pauvres gens cons, stupides ou égarés ; c'est qu'ils sont à la fois en mission et en récréation. À ce jeu Anne Marivin (dynamique mais reliée à des tombereaux de navets – sans doute le cinéma des primates votant FN quand la colère est venu à bout de leur passion du bowling) est championne. Étrangement, c'est aussi le cas de l'unique antagoniste assumée, spécimen de mégère frustrée criarde et de gauchiste incapable de refréner ses enthousiasmes et ses passions, toutes destructives (nous savons contre quoi elle se pose ; pour quoi plaide-t-elle, mieux : pour quoi de solide, de profond et de durable ?).


https://zogarok.wordpress.com/2017/07/05/chez-nous/

Créée

le 5 juil. 2017

Critique lue 762 fois

8 j'aime

6 commentaires

Zogarok

Écrit par

Critique lue 762 fois

8
6

D'autres avis sur Chez nous

Chez nous
Behind_the_Mask
3

Bourrage des urnes

Précédé par quelque relent d'une polémique imbécile qui aura eu pour seul effet de braquer les projecteurs sur sa sortie opportune, Chez Nous n'est finalement qu'un soufflé qui se déballonne...

le 23 févr. 2017

33 j'aime

16

Chez nous
Cultural_Mind
6

Haine(s) pollinisatrice(s)

On pourrait bien sûr multiplier les reproches à l'encontre de Chez nous : les personnages manquent d'étoffe, la trame narrative est cousue de fil blanc, le parti pris politique a quelque chose de...

le 4 juil. 2017

22 j'aime

5

Chez nous
BenoitRichard
7

Critique de Chez nous par Ben Ric

Évacuons tout de suite les points faibles du film et souvent inhérents à ce type de fiction prenant appui sur période actuelle. La première, et la plus flagrante était sans doute, étant la...

le 26 févr. 2017

14 j'aime

5

Du même critique

La Haine
Zogarok
3

Les "bons" ploucs de banlieue

En 1995, Mathieu Kassovitz a ving-six ans, non pas seize. C'est pourtant à ce moment qu'il réalise La Haine. Il y montre la vie des banlieues, par le prisme de trois amis (un juif, un noir, un...

le 13 nov. 2013

49 j'aime

20

Kirikou et la Sorcière
Zogarok
10

Le pacificateur

C’est la métamorphose d’un nain intrépide, héros à contre-courant demandant au méchant de l’histoire pourquoi il s’obstine à camper cette position. Né par sa propre volonté et détenant déjà l’usage...

le 11 févr. 2015

48 j'aime

4

Les Visiteurs
Zogarok
9

Mysticisme folklo

L‘une des meilleures comédies françaises de tous les temps. Pas la plus légère, mais efficace et imaginative. Les Visiteurs a rassemblé près de 14 millions de spectateurs en salles en 1993,...

le 8 déc. 2014

31 j'aime

2