[Critique initialement publiée sur CinemaClubFR]


Il est toujours frustrant d’écrire sur un film dont on sait d’emblée qu’il ne pourra être vu que par très peu de personnes, la faute à une distribution plus que limitée. Dès sa première semaine de sortie, Chien de Samuel Benchetrit aura eu le malheur de n’être visible que dans une trentaine de salles dans toute la France. Une décision compréhensible au vu du caractère unique de son univers ainsi que de la forte concurrence autour du film, coincé entre Tomb Raider, Ghostland et le dernier Frank Dubosc, mais toutefois ô combien dommageable. Car Chien est une véritable perle qui devrait être vu par le plus grand nombre.


A son origine, Chien était un livre écrit par Samuel Benchetrit lui-même et publié en 2015. Nous y suivons ainsi l’histoire de Jacques, un homme quarantenaire qui, du jour au lendemain, se retrouve sans rien. Ni compagne, ni travail, ni même logement, condamné à rester dans une chambre d’hôtel en attente de solution. C’est alors que le responsable d’une animalerie décide de le prendre sous son aile, voire même un peu trop, ce qui va amener Jacques a se métamorphoser progressivement en une personne autre. Un pitch pas franchement joyeux aux premiers abords et c’est tout justement qui va faire la sève de l’histoire du livre, comme du film, qui reprend en grande partie son déroulé.


Avant-toute chose, il semble nécessaire de préciser que Chien n’est pas à considérer comme un véritable film d’horreur à proprement parler. Cependant, il est indéniable qu’un esprit propre au cinéma de genre se ressent en filigrane, ne serait-ce que dans la façon dont Benchetrit raconte son histoire et présente ses personnages. On retrouve ainsi ce qui fait la grande particularité de ces films franco-belges, à savoir un savant mélange des genres, alternant constamment entre humour noir, drame et tension dérangeante, voire insoutenable. C’est déjà ce que Fabrice du Welz avait initié 14 ans plus tôt avec Calvaire (et oui, ça ne nous rajeunit pas) et par chance, Chien est exactement dans cette même mouvance.


Si le film commence comme une pure comédie noire, enchaînant les blagues macabres qui risque d’en faire rigoler plus d’un, sous couvert d’une histoire dramatique, il va très vite basculer dans le malsain et le glauque, à un point assez insoupçonné, dès lors que Jacques se fait recueillir et « élever » par Max, le responsable de l’animalerie (joué par l’incroyable Bouli Lanners, nous y reviendrons). C’est à partir de cet l’instant précis que la substance du film se révèle réellement et nous emporte dans une descente aux enfers incessante, enchaînant les scènes psychologiques plus fortes les unes que les autres, tout cela pour s’achever sur un final terrassant et dont il est difficile de ressortir sans avoir pleuré à chaudes larmes.


Cette ambiance si particulière, on l’a doit notamment au grand travail réalisé sur tout l’aspect visuel du film. La magnifique photographie signée Guillaume Desffontaines retranscrit à la perfection la solitude de Jacques et renforce d’autant plus l’esprit sale et punk qui caractérise le film dans sa chair, comme dans sa manière de représenter le monde extérieur, gris, terne et complètement déshumanisé. Ce visuel et cette atmosphère « à fleur de peau » est par ailleurs ce qui ressort majoritairement de son histoire, même derrière ses écarts les plus absurdes. Samuel Benchetrit a écrit avec Chien une parfaite métaphore de l’abandon et de notre manière d’y faire face, dans un monde auquel nous ne semblons plus pouvoir appartenir, quitte à devoir radicalement changer pour être de nouveau accepté.


Et ce changement de soi nous permet très justement d’aborder ce qui est LA plus grande réussite du film : Son casting quatre étoiles. Si Vanessa Paradis n’est finalement que très peu présente dans le récit et n’intervient qu’à de rares occasions, l’honneur revient surtout à Vincent Macaigne et à Bouli Lanners, qui incarnent tous deux des rôles à la hauteur de leurs talents respectifs. Macaigne fait preuve d’une sensibilité absolument démentielle, alternant de nombreux registres de jeu et n’hésitant pas à investir tout son être dans son personnage de Jacques, même dans les moments les plus difficiles physiquement. Quant à Lanners, il offre une performance tout simplement incroyable, jouant avec son physique attendrissant pour mieux faire exploser sa part sombre et sadique, faisant de lui un des personnages les plus terrifiants vus sur grand écran depuis fort longtemps. (A noter par ailleurs que son rôle était originellement prévu pour Jean-Claude Van Damme mais si l’idée est intéressante sur le papier, il aurait été très difficile, voire impossible, d’atteindre ne serait-ce que la cheville de l’intensité dont Lanners fait preuve ici.)


Derrière ses airs de film absurde, Chien est en réalité un véritable coup-de-poing dans les tripes. Un long-métrage dont il est difficile de ressortir indemne et qui arrive à nous mettre mal à l’aise comme très peu ont réussi à le faire ces derniers temps. Si sa faible distribution peut sûrement être un frein pour bon nombre d’entre vous, il s’agit d’une raison de plus pour encourager les personnes ayant l’opportunité de le découvrir à le soutenir au plus vite car ce n’est que de cette manière que ce cinéma si particulier pourra être amené à perdurer à l’avenir. Pour longtemps, espérons-le.

TanguyRenault
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le 23 mars 2018

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Tanguy Renault

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