Ca fait assez longtemps que j'avais plus écrit sur une oeuvre. Mais cette fois, je me sens obligé de dire quelque chose sur ce film, parce qu'il est extraordinaire. Et surtout qu'il m'a appris un truc sur ma propre vision du cinéma dont je n'avais pas conscience avant le visionnage.

Chien de la Casse est un film original par son cadre : un décor assez peu exploité dans le cinéma français, à savoir la campagne d'un petit village de l'Hérault. Dans ce village, les jeunes s'ennuient et restent dans une boucle perpétuelle, parfaitement retranscrite tout au long du film par des petits détails. C'est dans cet univers que l'on découvre une amitié masculine ambigue entre Dog, un jeune homme simple et passif, et Mirales, un petit caid gouailleur doté d'une culture très au-dessus de la moyenne pour le milieu dans lequel il évolue. Vous me direz peut-être qu'il n'y a pas de quoi sauter au plafond et que les drames français dans les milieux paupérisés (la banlieue le plus souvent) sont légion. Je vous répondrais que ce n'est pas le plot qui fait l'intérêt du film, mais la manière de le dérouler, la justesse du jeu.

Les thèmes dominants du film sont les dynamiques de pouvoir dans les amitiés toxiques, la jalousie et plus généralement la vie pour les jeunes des campagnes. Néanmoins, beaucoup de thèmes annexes servent de toile de fond : la solitude, le décalage culturel, l'ennui.

Question acting, je vais néanmoins reconnaître un défaut au film malgré tout : le personnage de Mirales éclipse quasiment tout le reste du casting à cause du talent de l'acteur qui l'incarne. Mais en même temps, ça me semble limite raccord avec la psychologie du personnage. Raphael Quenard sort une performance absolument hors du temps et je pèse mes mots. Il est tout le temps juste. Ca ne veut pas dire que les autres acteurs jouent mal, bien au contraire, c'est également leur prestation qui permet à Quenard de briller autant dans le rôle. Bajon, qui incarne Dog, a un rôle plutôt ingrat et s'en sort plutôt bien, mais forcément sans éclat.

L'écriture des personnages, et surtout celle de Mirales, est absolument brillante. On ne sait jamais sur quel pied danser avec ce personnage biface. Tantôt harceleur, manipulateur toxique et violent possédant une emprise psychologique sur Dog. Tantôt ami fidèle, plus que Dog à bien des égards. Tantôt caid violent, tantôt jeune homme sensible et intellectuel. Tantôt gouailleur charismatique, tantôt homme seul. Difficile de le hair, et pourtant on comprend assez vite qu'il est en bonne partie la cause du malheur de Dog. Mais on comprend vite qu'il est tout aussi malheureux.

Dog à l'inverse est très unidimensionnel. Un personnage taciturne et triste, qui semble sur la retenue à force de prendre des brimades et des humiliations de la part de son ami. Les autres personnages, y compris celui d'Elsa, sont beaucoup plus discrets et sont à mon avis plus des faire-valoirs qui permettent de développer l'histoire.

Le film joue énormément d'une symbolique liée au renversement, notamment l'analogie entre le chien Malabar, dont le nom renvoie à un homme musclé, et Dog, l'ami qui porte un surnom de chien. Le choix du nom de Mirales est également intéressant, puisqu'on peut le comprendre comme l'allusion à la laisse du chien, ce qui annonce les dynamiques de pouvoir. Une multitude de symboles sont dispersés ça et là, ce qui donne plusieurs niveaux de lecture. La fin ouverte, douce-amère, laisse le choix de l'interprétation.

Chien de la Casse est un film juste de bout en bout. J'ai moi-même vécu à la campagne dans le sud et connu une bonne partie des situations de ce film. Hasard ou pas, beaucoup de choses faisaient écho, et c'est peut-être pour ça que je l'apprécie autant. Mais subjectivité mise à part (difficile), je pense qu'on peut reconnaître à ce film quelque chose de rare. Cette chose, c'est un traitement psychologique d'une grande finesse. Une histoire qui rappelle énormément le Grand Meaulnes et des paysages hantés à la Mauriac, Giono, Bernanos.

J'en viens à ce qui m'a inspiré la critique : ce film m'a fait comprendre que ce que j'aime dans le cinéma ce sont les films naturalistes, ce dont je n'avais pas conscience avant ce visionnage. J'aime voir des personnages qui sont plausibles tout en étant singuliers. Il y a sûrement au moment où l'on parle un Mirales dans le languedoc comme un Dog quelque part dans le midi, qui ne verront sûrement jamais ce film parce qu'il n'y a pas de cinéma dans leur village.

Est-ce que c'est triste ? Peut-être.


Je ne pouvais pas mettre autre chose que 10.

Merci pour cette claque, c'est pour ça que j'aime le cinéma français.

Bassorah
10
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le 5 mai 2023

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Bassorah

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