La vie impossible
J’admire ce dispositif filmique qui accentue l’inconfort de la position de voyeur du spectateur jusqu’à la faire glisser insidieusement vers celle d’acteur. Sorte de caméra subjective que personne ne souhaiterait endosser hors cinéma, mais qui fait que tout le long du film nos yeux sont ceux des différents personnages situés hors champ, dont on n’entend que la voix, et qui sont comme nous hors d’atteinte, et jouissent ainsi de la misérable omnipotence à laquelle les incite aujourd’hui le pouvoir iranien. Les cinéastes nous installent en quelque sorte dans la position de ces petits tortionnaires qui anéantissent les hommes et femmes d’une société iranienne profondément meurtrie et muselée. Bien sûr ce n’est pas celui qui regarde qui fait le film et qui s’adresse aux personnages, mais c’est à travers lui que se nouent les destins des différents personnages qui sont convoqués à l’image. Si nous ne sommes pas responsables de notre position de spectateur, les cinéastes - par une succession de plans fixes - nous placent face à la sidération, l’indignation, la résignation ou la révolte, et s’il ne s’agit pas pour autant de faire nôtres les propos tenus, visant à nier toute intégrité, individualité ou humanité, notre regard semble distiller malgré nous la pression subie par les personnes situées face caméra, comme si nous étions nous-mêmes assis derrière un de ces guichets d’accueil au sein desquels les administrations laissent transpirer avec allégresse la barbarie douce des sociétés totalitaires.