Cindy, the Doll is Mine
6.5
Cindy, the Doll is Mine

Court-métrage de Bertrand Bonello (2005)

Réflexion sur la création artistique et son pouvoir émotionnel, sur le créateur et son modèle. Film d’une quinzaine de minutes intégralement en champ/contre-champ. Asia Argento est une photographe brune, cheveux courts, qui paraît rechercher une émotion imprécise. Asia Argento est aussi son modèle, longue chevelure blonde, au style emprunté aux années 50. D’un côté une fille qui donne des directives, cherche des postures, un cadre, un regard, d’un autre une fille qui obéit à ses directives. C’est la matière même du photographiant face au photographié. Puis il faudra que le modèle pleure, de façon à maculer ses joues de mascaras. Les larmes ne couleront pas, il faudra l’aide d’une ambiance musicale. A travers le modèle désormais en larmes, le créateur se met lui aussi à pleurer. Comme s’il avait projeté ses propres émotions dans ce corps miroir. N’est-ce pas une sorte de fondement de la direction d’acteur ? Sauf qu’ici nous le voyons faire, à travers deux visages qui semblent bientôt n’en faire qu’un seul. Cindy ce pourrait être le nom de cette fille, si le film ne s’inspirait pas ouvertement du travail de Cindy Sherman, la photographe. The doll is mine c’est le nom de la chanson, interprétée par Blonde Redhead, qui fera naître les larmes. Il y a quelque chose de somptueux dans cette représentation théorique : C’est que justement elle vit, nous procure des sensations, et simplement en montrant deux visages, ou du moins le visage d’une femme photographe et la projection de son idée. Le fait de prendre la même actrice pour incarner ce double rôle est quelque chose de miraculeux. C’est l’avènement du créateur et de ses modèles (et non ses acteurs) au sens où l’entendait Bresson.

Mais ce n’est pas un film qui s’explique, je ne pense pas. Il faut simplement se laisser guider par ses émotions, il n’y a que ça de vrai. Par le silence. Par la musique. Par des mots. Des larmes. Des choses. Par choses j’entends tout ce qui accompagne cette image épurée. Il ne faut pas oublier que l’on est en décor unique durant tout le film, un appartement pour une séance photo, d’une grande complexité dans sa simplicité, un peu comme celui du photographe dans Blow up. Et il y a ces objets qui accompagnent cette séance photo, les poupées dans un premier temps, qui apparaissent dans le premier plan, des poupées plutôt laides, imbriquées les unes dans les autres, comme mortes, c’est déjà quelque chose de terrifiant. La poupée reviendra plus tard dans les bras de la blonde, faisant mine de l’allaiter. L’image est plus douce, plus lumineuse, pourtant c’est à cet instant que la brune demande à son modèle de pleurer, comme si une forme de douleur la rattrapait au galop, à l’image de l’utilisation musicale qui s’ensuit. C’est la violence de la création artistique qui est montrée. Une souffrance muette. Quand la blonde aura réussi à pleurer, elle réussira par la même occasion à faire pleurer la brune. Le faux ou la copie fera pleurer le vrai ou l’original. Ou l’inverse. C’est assez magnifique. Et bouleversant. Mais le plus beau c’est que l’on peut se raconter sa propre histoire. Libre à nous d’interpréter ce besoin des larmes, ce modèle à la vertical puis très vite mis à l’horizontal, la présence du téléphone, ce curieux bandage autour de son poignet, la tenue vestimentaire, le choix de la couleur des cheveux. Tout est à la fois dans le film et hors du film. Voilà, ça dure à peine quinze minutes et c’est l’un des trucs les plus éprouvants et émouvants que j’ai pu voir. En gros je n’avais pas ressenti un truc de ce genre depuis The brown bunny. Vincent Gallo n’est pas là pourtant pas près d’oublier ce regard si rempli de tristesse, si affecté de la belle et double Asia.
JanosValuska
7
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le 13 oct. 2014

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