Que voilà un film intéressant.
Je l'ai vu avec une amie qui, pour sa part, l'a détesté, ce qui n'a pas manqué de me surprendre parce que, enfin je suis peut-être bon public et pas trop exigeant, mais pour ce qui me concerne je l'ai trouvé très bon.
Nous étions d'accord sur une qualité incontestable : c'est extrêmement bien filmé.
Pour le reste, elle a jugé exaspérant de ne pas savoir du tout pourquoi l'armée de l'Ouest (Californie, Texas) s'est retrouvée aux prises avec la côte Est, et pour quels motifs s'est déclenchée cette guerre civile — au sens propre, il s'agit d'envahir l'autre, pas de faire sécession comme dans l'acception ordinaire de "Civil War" dans l'histoire américaine.
Pour ma part j'ai jugé que cette absence délibérée d’explication permettait, précisément, de projeter tout ce que l'on veut sur un conflit qui n'apparaît grosso modo qu'en toile de fond pendant la majeure partie du film, cette espèce d'étrange road movie, jusqu'aux scènes finales qui nous mettent au cœur des opérations guerrières.
Mais assez de nos divergences, qui ont porté également sur le rôle et l'emploi des acteurs principaux. Je veux bien admettre en la matière un certain schématisme, avec au centre une forme de relation filiale — si ça se dit pour une mère et sa fille — entre Lee, jouée par une Kirsten Dunst qu'on retrouve plus mûre désormais, assez sévère, épatante pour moi, et la jeune Jessie, aspirante photographe, dont Lee est le role model, l'héroïne. Mais pour des photographes, être un peu cliché, n'est-ce pas ?
Car il est moins question de guerre que de reportage, et en l'occurrence, de photo ; autrement dit, du pouvoir des images, ce qui constitue une évidente mise en abyme de la position du spectateur devant le film lui-même. Lee, photographe de guerre expérimentée, qui a tout vu — trop ? —, sur tous les théâtres possibles de la violence du monde, accompagne Joel et Sammy, journalistes, dans une expédition de plus de 1000 miles de route à travers une Amérique déchirée, dans le but de réaliser un — dernier ? — interview avec le Président des États, en l'occurrence, désunis.
Charlottesville pourrait aussi bien être Mogadiscio sur le home soil, c'est très troublant tout de même.
Ce Président, s'agit-il d'un Trump pris d'assaut par ses adversaires, ou ses adversaires relèvent-ils d'une mouvance trumpiste ? En tout état de cause il paraît assez évident que le film n'aurait pas forcément le même impact — aurait-il seulement été tourné ? — sans l'assaut du Capitole en 2021.
(On verra d'ailleurs Washington littéralement transformé en zone de guerre, et des lieux sacrés de la démocratie américaine détruits par des explosions.)
Les multiples rebondissements de ce road trip, je me garderai de les dévoiler, sauf pour l'un d'entre eux que je vais spoiler.
La petite équipe, à qui se sont joints deux amis de Joel, tombe sur un groupe de soldats qui s'avèrent rapidement être des membres de l'Armée de l'Ouest, en train d'accomplir une besogne sordide : remplir une fosse commune, jonchée de multiples cadavres blanchis à la chaux, des civils semble-t-il, tués pour un motif inconnu, probablement pour être du mauvais camp. Ce qui donne lieu à une scène d'une tension folle où le soldat qui les met en joue — incroyable Jesse Plemons — les soumet à la question, et où l'on sent que pour un oui ou pour un non, il est prêt à les abattre — ce dont il ne se privera pas —, journalistes ou pas : ici, ce n'est pas un gage d'immunité, car après tout, courir le risque qu'ils racontent ce qu'ils ont vu... cette scène, je le répète, d'une tensions incroyable, menée d'une façon éblouissante, constitue un acmé du film.
En m'acheminant vers la fin de cette petite critique, je parlerai brièvement de la relation entre Lee et Jessie, sans spoiler pour le coup le finale. L'élève s'avère pleine de ressources et de talent, sa mentor l'encourage, mais face aux atrocités de la guerre, à la limite du supportable, elle est sommée de s'endurcir — jusqu'à devenir insensible. Filmer des combats en étant littéralement sur les talons des combattants, pour saisir des moments d'agonie, la majeure partie du temps, voici une image sinistre du photoreportage.
On voit Lee uploader ses photos sur un serveur au début du film, mais ensuite, plus rien. Isolement total vis-à-vis de Reuters. Absence complète de sources d'information sur le conflit en cours. On est tellement dans le low tech qu'il est tout à fait logique de voir la jeune Jessie shooter en argentique, et passer ses pellicules au révélateur.
En fin de compte, que retenir selon moi de ce film ?
- une mise en scène brillante ;
- des acteurs tous époustouflants ;
- une suite de péripéties quelque peu dénuées de fil conducteur ;
- une séquence finale d'une grande maestria dans les rues de Washington, puis à la Maison Blanche ;
- l'absence d'empathie, qui tourne à l'inhumanité, de photographes prêts à tout pour faire la photo, de préférence d'une violence obscène, qu'ils jugent devoir faire dans des circonstances aussi violentes.
Mais rien qui réponde à la question fondamentale : à quoi bon photographier tout cela ? quel est l'enjeu ? la gloire, le devoir d'informer ? quel est le sens d'une telle démarche dans un contexte de guerre civile, sinon de dévoiler le paradoxe de ce geste, photographier la violence, qui rend celui qui appuie sur le déclencheur, une fois encore, inhumain ?
Un film qui pose des questions et mérite sans doute d'être revu, relu. Ce n'est pas le Blow Up du XXIe siècle, certes, mais une œuvre qui vaut le détour, de par ses ambiguïtés même.