Indéniablement, Classe tous risques est de ces films qui ne peuvent que séduire les amateurs de film noir. On y trouve, par exemple, cette atmosphère melvillienne délicieusement froide et oppressante, ce réalisme âpre sentant bon le Becker des grands jours, sans parler de cette mise en scène transpirante de modernité, faisant un joli amalgame entre nouvelle vague frémissante et ciné ricain frissonnant. Classe tous risques a l'audace de ces films qui refusent le doux conformisme ambiant. Réaliste jusqu'à l'excès, méchamment désenchanté, il détonne quelque peu avec une production populaire française qui se plaît à idéaliser le gangstérisme, avec ces personnages gentiment typés et ces dialogues à la Audiard. Et puis, Classe tous risques a la beauté d'une tragédie grecque avec ce personnage central, salopard impardonnable mais empreint d'une grande lucidité, qui s'avance lentement vers la tombe qu'il a lui-même creusée.

Pour son premier véritable film, si on oublie Bonjour sourire, Sautet n'apparaît pas encore comme le grand "disséqueur de l'intime" qu'il sera dans la décennie à venir, mais il témoigne déjà d'un talent certain pour nous plonger dans une époque, dans un milieu, pour nous faire vivre au plus près de ses personnages. Ici, point de "fariboles" ou de romanesque, il évoque les gangsters de la même manière qu'il évoquerait des fonctionnaires ou des artisans, en nous les présentant comme des individus empêtrés dans leur quotidien. Sautet nous expose ainsi une description sans fard de ce milieu, où l'intérêt individuel prime bien souvent sur la solidarité ou les amitiés, où les plus malins tombent dans le confort bourgeois, tandis que les plus malchanceux finissent au trou, voire au boulevard des allongés.

Davos, le personnage central, est ainsi perçu dans toute sa banalité, préparant des coups afin de financer le suivant, fuyant sur les routes avec pote, femme et enfants... Il n'y a rien de beau ou d'admirable chez lui. C'est un criminel endurci, qui tue sans sourciller celui qui se dresse en travers de son chemin... Mais en même temps, il reste un type désespérément humain, qui s'occupe de ses rejetons entre deux méfaits et qui n'hésite pas à aider l'ami en difficulté. En quelques séquences, alternant continuellement entre "sale boulot qu'il faut bien faire" et moments complices, Sautet parvient à nous brosser de lui un portrait plein de finesse. Mais tout cela ne serait rien, ou pas grand-chose, sans la prestation sans failles de Lino Ventura qui semble être né pour ce rôle : il a dureté et la froideur dans le regard qui font de lui un tueur profondément antipathique, mais il possède également suffisamment de finesse dans son jeu pour en exalter la dimension humaine.

Néanmoins, on peut regretter que la trame principale soit trop vite reléguée au second plan ou que le film s'encombre de passages superflus comme la "love story" entre Belmondo et Sandra Milo qui ne sert qu'à mettre en avant le futur "Pierrot le fou". Classe tous risques est à voir pour son réalisme bien sûr, mais surtout pour ses acteurs : Belmondo, Cerval, Ardan et évidemment Ventura...

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le 5 mars 2024

Critique lue 40 fois

4 j'aime

Procol Harum

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