Réalisé en temps réel, Cleo de 5 à 7 est une perle de la Nouvelle Vague à l'oeil d'Agnès Varda.


Un 21 juin, sans doute de l'an 1962, Cleo, hypocondriaque légère, sort de chez la cartomancienne qui lui prédit et lui confirme une maladie grave, un cancer. C'est broyée par cette nouvelle, que Cleo se lance dans un road movie parisien à la recherche d'une écoute véritable.


Ce long métrage de 1962 résonne d'une actualité étonnante aujourd'hui.
Médecine allopathique ou cartomancie, qui croire ?
Voir le monde de manière phénoménologique ou le ponctuer de superstitions ?
Se prélasser dans la maladie ou être occupé et ne pas avoir le temps de l'être, voir la narration de l'aventure de l'homme fiévreux par Angèle, alias la grande Dominique Davray, au bar.
D'ailleurs la voiture transportant Cléo et son amie ne s'arrête-t-elle pas devant une salle de cinéma diffusant Le Charlatan ?
Les arguments poncifs de l'époque devenus accusateurs de nos jours mais finalement toujours les mêmes.
Quelle est la valeur de notre rapport à l'autre ? Et de quel autre s'agit-il ?


Le second plan donné à l'actualité de l'époque, en l'occurrence la guerre d'Algérie, ou les manifestations pour la libération des Bretons, me parait être, en fait, un moyen de souligner plus encore une mise en perspective et le rapport entre les douleurs que traverse un sujet, réelles ou fictives, et celle des peuples anonymes à l'époque très lointains (pour mémoire les réseaux sociaux en 1962 c'est le café, le bus, le taxi, la rue).


On notera l'intelligence du discours sous-jacent de la réalisatrice : un film qui filme des femmes qu'elles soient taxi, chanteuse, dame de compagnie, modiste, et qui pour autant ne les éloigne pas des hommes.
Elles prennent juste leur place naturellement dans une société inchangée et sans que cela soit une question à débattre.
Pour autant, la place de l'homme et de la femme dans la France urbaine des années 1960 est bien au coeur de l'écriture de Varda.


Je relèverai néanmoins tout d'abord un dialogue :



[Angèle] - vous êtes dégourdie vous, ça oui ! Vous avez du cran.
[Taxi] - Et les femmes parachutistes, qu'est-ce que vous diriez alors ?
[Cléo] - Quelle folie de s'envoyer dans l'air quand personne ne vous y oblige.
[Angèle] - Y en a qui aiment ça, c'est tout.



Puis une mise en abyme absolument extraordinaire lorsque Raoul diffuse "le petit film" qui fait rire avec la maladie et la mort.


Quant à la distribution, excusez du peu mais elle est brillantissime : Brialy, Constantine, Delorme, Frey, Godard, Karina, Korber, Legrand, Robert, entre autres... Et la ville, Paris


Le style particulier d'Agnès Varda et du mouvement auquel elle se rattache donne une tonalité presque documentaire à la problématique.
Les bribes de conversations qui se suivent, ou se superposent, la rencontre du politique et de l'artistique, de l'intime et du public.
Des dialogues à écouter, à lire et à entendre, un film convoquant le regard à chaque instant et dans toutes ses dimensions jusqu'aux lunettes qui font voir tout en noir et aux battements de cils des comédiens du "petit film".


Finalement, Cléo trouvera à poser sa parole auprès de cet inconnu en permission, qui aurait préféré donner sa vie à une femme qu'à la guerre, cet homme qui comme tous les hommes, nous dit Cléo,



attendent toutes les femmes.



Et qui pourtant est là, présent.
De là à supposer une dimension psychanalytique au film, il n'y a qu'un pas que je m'autorise à franchir.


Cléo de 5 à 7 est un moment de vie capté par la caméra de l'autrice, deux heures de la plus longue journée de l'année où le soleil quitte les Gémeaux pour entrer dans le Cancer. Et qui avec optimisme regarde le drame à travers l'amour.


A découvrir, voir et revoir que ce soit avec un regard technique, politique, artistique ou tout cela à la fois.


[@senscritique] Et puis Cléo aurait adoré les Cinexpériences, puisqu'elle n'aime pas lire les critiques ni connaitre le sujet d'un film avant de le voir...

Créée

le 12 sept. 2021

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Agyness-Bowie

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