Enfant terrible du cinéma français, Gaspar Noé aime choquer là où il passe. Cela avait déjà commencé avec le très bon Seul contre tous, son premier film en 1998 et suite de son moyen métrage Carne. Mais le phénomène Noé s'est surtout intensifié avec Irréversible en 2002, considérer alors comme une oeuvre insoutenable, puis dans une moindre mesure avec son formidable Enter the Void en 2010. Fasciné par les plus vils pulsions humaines, l'addiction dans ce qu'elle a de plus ingérable et les sursauts de vie qui s’entremêlent avec des actes de morts. Il offre souvent un cinéma très noir, organique et qui crée le choc. Pourtant en 2015 il a décidé de se calmer avec son quatrième film Love, où il décida de s'intéresser à son autre sujet favori, le sexe. Avec pour ambition de faire un film sur la représentation positive et amoureuse du sexe mais a finit par offrir une oeuvre assez froide et détaché loin de ses intentions de base. Reste quelques fulgurances mais Love n'avait ni la fièvre ni la passion de ses anciens films.


Trop réfléchi et pas assez fait avec les tripes, Love était une semi-déception même pour Noé qui a vu son film être restreint d'une interdiction au moins de 18 ans pour son caractère sexuel très graphique et qui a donc limité sa diffusion. Ce qui lui aura sans doute permis de prendre la meilleure décision de sa vie, faire un film en un éclair sans vraiment planifier de scénario juste en le faisant avec les tripes. Voulant faire un film organique autour de la danse, s'inspirant d'un fait divers qui a mal tourné et prenant comme forme un huit clos étouffant et bouillonnant et ainsi naquit très vite et pour pas trop cher, Climax. Le scénario tiendra sur un timbre poste, une seule situation qui réunit un groupe d'individus au même endroit et un élément déclencheur qui fera tout dérailler. C'est simple mais diablement efficace au milieu de dialogues souvent improvisés et même si ils ont tendance à parler de rien, il crédibilise chaque personnages qui se montrent souvent même assez bien caractérisés. Beaucoup reste finalement stéréotypés et certains sont même très vite mis de côté car la durée assez courte du film ne permet pas de donner de la place à tous mais on arrive à se retrouver avec aisance dans les diverses relations qui les unissent sans jamais se perdre.


Sur ça, malgré qu'il est peu écrit, le film déploie un sens de la narration vraiment dingue surtout de manière visuelle. Par contre le principal défaut viendra que certains acteurs ne sont pas convaincants. La grande majorité étant surtout des danseurs professionnels, ils assurent durant les chorégraphies endiablées mais peinent à tenir la barre durant les phases qui exigent de communiquer. Même si durant la frénésie qui constitue le centre de Climax cela finit par ne plus être dérangeant, durant le prologue et la conclusion cela s'avère plus problématique quand on ne peut pas prendre un tel au sérieux ou qu'un autre est tellement à côté de la plaque qu'il fait involontairement rire sur une scène pourtant dramatique. Heureusement celle qui fera office de "personnage principal" est incarnée par Sofia Boutella, actrice plus expérimentée qui signe une excellente performance. Mais le cœur de Climax n'est pas là et il est facile de passer outre ce problème mineur face à la radicalité et la maîtrise de l'expérience proposée. Revenant à ses premiers amours, Noé cherche à bousculer dans une histoire moins personnelle que ses dernières œuvres mais où il y injecte beaucoup de ses obsessions.


Véritable réflexion sur la soif incommensurable de vivre qui mène à se consommer et se consumer jusqu'à la mort, il offre un ballet visuel virtuose, frénétique et viscérale qui assène un électrochoc sans pareil. Privilégiant comme il les aime les plans longs, il s'impose avec une caméra bien plus en mouvement que par le passé, suivant les personnages dans une zone très restreinte il passe d'un point de vue à un autre, à une situation cauchemardesque à une autre. Toujours en collaboration avec Benoit Debie, le directeur photo du film, Noé crée un univers hors du temps ou les personnages sont prisonniers d'une télé, la première fois qu'on les voit dans des entretiens qui passent sur un écran ou de leurs environnements, un bâtiment isolé dans une forêt enneigée. Il signe le parfait décor d'un film d'horreur qui évoluera en diapason de la dégradation mentale des protagonistes. Avec au début des plans avec une caméra fixe, des mouvements gracieux et lisibles avec une photographie lumineuse aux teintes assez froides. Le tout s'ouvre même sur une séquence de danse prodigieuse à la maîtrise qui laisse pantois et qui vaut à elle seule le coup d’œil. Puis le film opère une descente aux enfers vertigineuse avec sa lumière de plus en plus brûlante et rare qui offre même des visions purement apocalyptiques et des plans de caméras plus frénétiques, proche des corps qui enchaînent des chorégraphies plus erratiques et confuses, voire même douloureuses culminant dans un final mémorable et inconfortable comme jamais.


Climax est une pure expérience de cinéma, un film empli de fulgurances visuelles les plus impressionnantes les unes que les autres et qui servent un propos plus grand que la pure démonstration de talent. Gaspar Noé offre donc une oeuvre plus resserrée, à la fois plus consciente de ses effets mais aussi paradoxalement plus libre et faite à l'instinct. Même si il n'offre pas totalement l'oeuvre sur la danse qu'il avait vendu, il en offre une bien plus pertinente sur le fracas des corps qui cherchent à affirmer leurs existences. Chaotique comme ses personnages en pleine perdition, terrifiant et fascinant comme ces étranges pulsions de mort qui naissent de ce besoin de se sentir en vie. En gardant ce qui fait son cinéma tout en trouvant le moyen de s'en affranchir, Noé signe son oeuvre la plus complexe et probablement une de celles qui marquera la plus car elle trouve une forme d'universalité. Climax est un film sans pareil, intelligemment déconstruit, éclatée comme un trip sous acide et délicieusement dérangeant. Il restera assurément comme un des films les plus marquants de l'année et probablement le premier vrai chef d'oeuvre de son auteur.

Frédéric_Perrinot
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le 6 juin 2018

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