Gaspar Noé signe ici un film hypnotique et envoûtant. Avec ce huis-clos au scénario quasiment inexistant, Noé explore les affres de l'âme humaine à travers la danse. Il s’agit ici d’une expérience immersive, d’une étude sociologique sur l’individualisme, le rapport au corps et les relations humaines observées à travers le prisme du groupe. Comédie musicale à la violence assumée, Climax est une claque esthétique dont le sublime s'illustre tantôt par des chorégraphies sauvages, sexuelles (avec des acteurs talentueux), tantôt par des mouvements de caméra qui forment l'apogée de son style (avec de nombreux hommages à sa filmographie, de Carne à Seul contre tous, Irréversible et Enter the Void).


À mon avis, Climax est un long métrage bien plus complexe qu’il n’y paraît de prime abord, où plusieurs niveaux de lecture s’entrecroisent au sein d’un chaos à tendance nihiliste.


1ère hypothèse : L'emprise de la chimie


Ce qu'il ressort du film en première lecture est l’hypothèse la plus simple : l'un des personnages a mis la drogue dans cette fameuse sangria, qui devient prompte à faire sombrer l'ensemble du groupe dans la folie. Si l'on soutient cette lecture du film, celui-ci traduit ainsi les effets de groupe liés une prise de drogue psycho-active (du LSD, précisément).


2ème hypothèse : Hystérie collective et transe mystique


Un deuxième interprétation, moins évidente, laisse dubitatif quant à l'effective présence de drogue dans la sangria. Climax serait alors une étude clinique sur les causes et les effets de l'hystérie collective (je vous invite à en lire plus à ce sujet), provoquée principalement par la danse et la prise d’alcool. La paranoïa grandissante des personnages (causée par l’impression on ne peut plus angoissante d’avoir été drogué à son insu) agit comme une spirale infernale ne pouvant aboutir qu'à la folie.


De nombreux indices corroborent cette piste, à commencer par le synopsis du film (qui a aucun moment ne mentionne la drogue) : "Naître et mourir sont des expériences extraordinaires. Vivre est un plaisir fugitif."


Le scénario du film semble idéal pour provoquer ce type de crise : des danseurs qui ne se connaissent que peu (ou sexuellement), stressés à la veille d'un départ pour New York et rassemblés pour une dernière fête au sein d'un lieu isolé. Les personnages, aux croyances hétérogènes, sont présentés dès le départ (à travers des interviews) avec leurs faiblesses et leurs traumatismes (suggérés). Tous ont en commun cette passion pour la danse, dont l'effet cathartique, indéniable, ne tarde pas à se faire sentir. Dès l'entrée dans la salle principale (dont les couleurs aux tons criards et les murs fissurés créent inévitablement un sentiment d'angoisse), l'un des protagonistes mentionne son ressenti : des choses malsaines se sont passées ici. De plus, ce groupe de danseurs, à travers des discussions a priori anodines, abordent de nombreuses réflexions métaphysiques (telles que Dieu, la vie, la mort) qui précèderont cette "crise" d'hystérie collective. Car la seule cohésion de ce groupe réside dans la danse, qui s’effacera au fur et à mesure des verres pour laisser place à un individualisme dévastateur, à des tensions destructrices et à une animosité croissante.


Au niveau sociologique, le rapport égoïste qu’entretiennent certains personnages avec la drogue rendent improbable l’idée d’un “partage” dans la sangria (chacun se droguent en cachette, refusant de partager sa consommation). Par conséquent, les causes de cette hystérie sont multiples mais contraires à ce que l’on pourrait penser en première instance : la danse (apte à provoquer une transe mystique,) l’alcool, la paranoïa, le lieu, les tensions et la musique (stressante ; on reconnait les rythmes saccadés d’Aphex Twin, les beats stridents des Daft Punk).


Finalement, Climax explore notre époque avec une vision pessimiste de la jeunesse, qui, malgré une passion commune qu’est la danse, s’auto-détruit dans l’individualisme, l’intolérance et l’hostilité du rapport à l’autre.

Bobkee
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le 23 juin 2018

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