La double imposture
Un illustre inconnu, Hossain Sabzian, entre chez des particuliers en se faisant passer pour le cinéaste Mohsen Makhmalbaf (un des réalisateurs iraniens les plus connus). Il est arrêté et traduit...
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le 6 juin 2013
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La naissance du film Close-up de 1990 vient d’un fait divers — s’en entachera Kiarostami dans l’espoir de pouvoir lire en travers les lignes.
un journaliste entre à l’avant d’un taxi, avec deux gendarmes, en destination du sujet d’un article prometteur : Un homme appelé M. Sabzian (un supposé escroc) se ferait passé pour un réalisateur Iranien connu : Mohsen Makhmalbaf.
« l’amour du cinéma » que porte Mr Sabzian — qui l’a amené à rencontrer une famille en usurpant le « titre » d’un autre — est une excuse à apporter des précisions sur un sujet plus complexe. Kiarostami obtient par cette excuse de « l’amour pour l’art » l’autorisation de filmer le procès (et à plusieurs reprises il obtiendra des images du réel qu’il intègrera au montage : caméra cachée en prison, rencontre de Sabzian avec le vrai réalisateur Makhmalbaf à sa sortie de prison, trajet en moto,…). À ces images se rajoutent d’autres, artificielles, qui sont tournées avec les vrais acteur.ices de cette histoire dans leur propre rôle. Abbas Kiarostami se tient à la version strict de Mr. Sabzian (et des acteur.ices concerné.es) au tribunal, et d’ailleurs par le biais des acteur.ices, Kiarostami n’apporte qu’une très faible interprétation de l’histoire.
Les faits expliqués au tribunal ne sont nullement répétés par les images et ce que Kiarostami donne à voir et met en scène n’est que l’avant et le pendant de l’arrestation de Mr. Sabzian dans une polyphonie de point de vue différents de cette même scène.
Le montage de Close-Up s’adapte avec poésie au collectif et aux images qui ont été possibles de faire (bien que je ne sous-estime nullement la force de persuasion d’Abbas Kiarostami à récupérer les images dont il a besoin, ou à en faire, à travers le montage on peut tout de même apercevoir une économie des forces et une efficacité respectueuse de ses protagonistes à travers les reconstitutions). La fiction et le documentaire se mêlent harmonieusement et cohabitent.
Abbas Kiarostami est clair et transparent sur les dispositifs qu'il utilise (bien qu’à certains moments les frontières soient poreuses, je ne les ressens pas comme étant le noyau dur du montage ni exactement cette expérience proposée ici).
Abbas Kiarostami cherche avant tout à faire naître chez nous une émotion dans sa globalité et construit les artifices à cet effet. Kiarostami décide de se laisser aller dans la nécessité d’une reproduction — comme un.e ébéniste qui suit les lignes du bois — afin de créer ce sentiment complexe global, sans nom, d’une douleur, en ne séparant pas la manière de faire du résultat à obtenir. Et ceci en lien avec la dramaturgie, proposé par Kiarostami, qui ne progresse pas en accumulant des événements, mais en creusant la complexité psychologique d’un homme en quête de reconnaissance, d’identité, de cinéma et des mots en eux-mêmes ainsi que du processus transparent qui opère parallèlement.
Visuellement, l’image sublime par sa nécessité d’être une image nécessaire elle même. La texture sonore est traité de la même manière, nécessairement.
Abbas Kiarostami, dans son travail en général et dans son oeuvre Close-up, désire se rapprocher d’une réalité (j’entend ici la réalité comme une absence de jugement) et défend sa vision du monde en transmettant un peu de ses valeurs. Des valeurs inverses à une rationalité linéaire, étroite, fondée sur une correspondance numérique des causes et des effets, sans magie. Il les aborde autant dans la narration que dans l’objet du film terminé, que dans finalement le médium en lui même : le cinéma.
Abbas K. n’a pas une idée tyrannique et infiniment susceptible de la causalité, mais est justement sensible à des idées et des mouvements complexes et à une solidarité des événements, qu’il justifie dans Close-up, en allant à la rencontre de Sabzian, par « l’amour du cinéma ». Progressivement cet « amour du cinéma » permet à Kiarostami de s’infiltrer dans des organismes où la caméra n’est généralement pas bienvenue, cette excuse opère alors comme un camouflage et devient une porte d’entrée vers des sujets sociaux complexes et vastes, résonnant à travers le monde.
En regardant les films d’Abbas Kiarostami, il apparaît que l’objet filmique est un objet d’expression idéal. Je peux m’imaginer Abbas K. choisir délibérément le cinéma pour s’exprimer et aborder des questionnements qu’il porte intérieurement. Close-Up est une lutte de lui même pour le partage, opérant le mouvement palpable de son intérieur vers l’extérieur (nous autres). J’utilise ici le mot « lutte », parce-qu'une soumission substantielle du réalisateur au film, c'est lutter contre la résistance de soi. Close-up est un film riche de substance. La machinerie est visible et les cicatrices apparentes.
La nécessité d’une soumission à la réalité et au récit (parce que ici le mouvement est une soumission à la narration et à l’objet du film vers l’acte de créer le film nécessaire) d’Abbas Kiarostami nous transmet un artisanat douloureux et généreux. Kiarostami opère dans une forme d’esthétique du nécessaire, du sentiment de l’évidence d’un précieux gisement connu et troublé, qui nous est spolié par la moral, la linéarité et l’aseptisation générale. Le choix de se soumettre à la dramaturgie instinctive du nécessaire (aïe je m’en veux d’avoir choisi ce terme mais je n’en trouve pas d’autre) demande un engagement urgent de tous.tes les acteur.ices du micro-organisme de Close-Up qui force mon incommensurable admiration à l’égard de cette oeuvre merveilleuse et poétique.
Créée
le 19 mai 2025
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